Clint Eastwood, un vrai père pour tous!
Alors aujourd'hui abordons un film injustement sous-estimé. Car oui, Cimino ne peut pas et ne doit pas se résumer à "Voyage au bout de l'enfer"! Avant, il y a eu "Thunderbolt and Lightfoot" tristement titré "Le Canardeur". Alors oui, le titre ne rend pas sexy cette oeuvre! Le synopsis non plus d'ailleurs : un buddy movie dans l'amérique profonde couplé à un film de braquage avec ce "bourrin" de Clint en vedette accompagné d'un jeune inconnu nommé Jeff Bridges. Bref, pas de quoi péter trois guiboles à un lémurien! Et rien de bien original!
Nous sommes au début des années 70, et Cimino n'a pour seul fait de gloire que le scenario de "Magnum Force" (oui, oui, un des épisodes de la saga fascisante, selon les bien pensants, des "Dirty Harry"!). Suffisant pour taper dans l'oeil de papa Clint qui décide de le prendre sous son aile et de lui filer les clefs du camion! Et donc de lui faire confiance pour le mettre en boite! Bien lui en a pris, car Eastwood vient de lancer un des réalisateurs majeurs du "Nouvel Hollywood"! Et pour un coup d'essai, Cimino réalise un coup de maître!
Commençons par le casting. Clint avait surement prévu d'être la vedette de ce film. D'ailleurs le titre français ne reprend que le nom de son personnage, Thunderbolt. Seulement Lightfoot en décide autrement et refuse de jouer les faire valoir! Oui, bien que Cimino arrive à nous faire admirer quelques facettes inconnues du talent d'Eastwood acteur, il laisse aussi à Jeff Bridges la liberté d'éclipser l'icône! Et le "jeune" fait jeu égal avec le "vieux" ne se privant pas de tirer la couverture à lui! Et Eastwood, pas un peu vexé? Laissons répondre le réalisateur ( extraits d'un entretien avec Michael Cimino par Bill Krohn, Cahiers du Cinéma "Spécial made in USA" n°337, juin 1982)
"Je souris quand je pense à Jeff (Bridges). En fait, il domine le film un peu plus que prévu. Clint s'est bien rendu compte de ce qui se passait, mais il l'a tellement aimé qu'il n'a pu que le regarder évoluer, comme on regarde évoluer un élément naturel, sans vouloir l'interrompre. (…) Clint s'est montré très généreux."
"(…) Je pense qu'Eastwood était heureux pendant le tournage, il paraissait prendre grand plaisir à regarder le film et à suivre ses étapes. Avant de commencer, j'ai dit à Jeff : " Tu as une tâche à remplir ; tu dois faire rire Clint dans le film ; c'est ce qu'il a fait !"
Et voilà la carrière d'un de mes acteurs fétiches lancée! Il serait aussi injuste de passer sous silence la bonne composition des deux seconds rôles à savoir la "brutasse" de George Kennedy (que l'on retrouve aussi dans "La sanction") et ce Droppy de Geoffrey Lewis (acteur Eastwoodien par excellence et éternel second rôle). Un casting impeccable donc! Mais qu'en est-il du film?
Même si on peut retrouver quelques pistes de ce que va être le cinéma de Cimino, on est bien loin ici du style magnifique (certains diront ampouler ou prétentieux) du "Voyage au bout de l'enfer" ou de "La porte du Paradis"! Bein oui, on est chez Malpaso là, et Eastwood, adepte d'un cinéma simple (d'autres diront simpliste....pffff) ne joue pas encore avec des budgets conséquents. Néanmoins, commence à apparaître son amour de la nature (on voit que les paysages de cette amérique profonde ont été choisit avec soins) et l'intérêt qu'il porte à cette Amérique laborieuse et modeste! Et donc quelques thèmes propres à ce que l'on va appeler le Nouvel Hollywood! Parmi eux, la notion du temps qui passe et les conflits générationnels (pas étonnant alors que Michael ait plu à Clint). Cet écart se personnalise dans la relation entre le frustré Red Leary (George Kennedy) et l'immature Lightfoot (Jeff Bridges) qui passe leur temps à jouer à chien et chat. Thunderbolt (Clint Eastwood), lui, est au dessus de la mêlée en personnage un peu paumé, désabusé et conscient qu'il n'est plus de toute première fraicheur! Il a beau incarner un sorte de sagesse, il se laisse avoir par la fougue du jeune homme et se laisse convaincre qu'il peut retrouver une sorte de jeunesse perdue et de liberté (thème très présent dans la filmo d'Eastwood avec "Bronco Billy" par exemple). Lightfoot arrive à convaincre Thunderbolt que non, il n'est pas trop vieux pour ces conneries! Toutes proportions gardées, je ne peux m'empêcher de penser au Terence Hill de "Mon nom est personne" cherchant à rendre sa gloire passée à Henry Fonda! C'est ici le même principe!
Cimino toujours : "Les personnages de Clint et George Kennedy parlent de leur expérience en Corée, et leur attitude est en grande partie celle de cette génération-là ; Jeff était un casse tête pour eux. Ils ne se situaient pas dans le courant de la société américaine, loin de là ; mais Jeff était porteur de ce changement."
Puis c'est une histoire de looser attachant qui débouche sur une formidable histoire d'amitié! D'un côté, Jeff Bridges en jeune qui fonce droit devant lui sans savoir où il va, insouciant, grande gueule, joyeux mais qui derrière cette façade souffre terriblement d'être un Rémi! Son but dans la vie : trouver un ami, une famille!
De l'autre, Clint, ancien gangster rangé des voitures, qui semble avoir trouver une sorte de quiétude dans sa vie et semble résigné à faire une croix sur sa vie passée et à subir l'évolution plus que l'accompagner du monde dans lequel il vit! Un homme qui n'avait prévu l'étincelle Lightfoot qui allait lui redonner une certaine joie de vivre! En Lightfoot, c'est le Thunderbolt jeune qu'il retrouve!
Je terminerai en disant que ceux qui connaissent le Cimino "classique" seront sans doute surpris de découvrir la potacherie de certaines de ses scènes ici! Un humour pas forcément subtil! Ainsi, le bonhomme n'est pas avare en jolies filles qui ne dépensent pas beaucoup en tissus et n'hésite pas à travestir ces acteurs. Ainsi on peut s'apercevoir que Clint, portant lunettes et cheveux plaqués à une bonne tête de fion en curé et surtout que Jeff Bridges porte super bien la robe et la perruque blonde! Les beaux gosses en prennent un coup là!
Donc voilà, même si ce film n'est pas un chef d'oeuvre incontournable il est beaucoup plus que ce qu'il semble être et mérite que l'on s'y intéresse. C'est en tout cas un cinéma (le Nouvel Hollywood) que j'affectionne énormément et que j'essaie modestement de faire partager. Un cinéma simple, sans fioriture et qui se contente de raconter des histoires!