Jean Renoir était un réalisateur touche-à-tout qui se remettait en question tellement souvent que sa carrière est peu cohérente. Après sa période réaliste avec notamment Boudu Sauvé des Eaux et Une Partie de Campagne, sa période engagée politiquement avec la Marseillaise et sa période pacifiste avec la Grande Illusion , il décide de partir en 1941 aux Etats-Unis où il prend la nationalité américaine et tourne quelques films ayant peu de succès. Nous retrouvons ensuite sa trace en Inde en 1949 pour le tournage du film le Fleuve. Faut-il s’étonner de le retrouver juste après dans un film italien en costume censé se passer en Amérique latine ?


Le film fait partie de la liste des 1001 films à voir et passe actuellement à ma cinémathèque, c’est la seule raison de cette critique.


Les costumes sont remarquables, la photo de Claude Renoir est comme toujours soignée. Côté technique il faut surtout mentionner le tournage en Technicolor trichrome, inventé depuis 1928 et déjà largement utilisé par les Américains qui vaudra sur l’affiche l’accroche de « la première superproduction française en Technicolor ». Le procédé, nécessitant l'usage d'une caméra spécifique sera abandonné 3 ans après puisque l'avant-dernier film tourné en Technicolor trichrome, La Muraille d'or, sortira en 1955. Les décors du théâtre, le rideau rouge, les habits d’Arlequin et bien sûr le magnifique carrosse en or prennent ainsi toute leur valeur.


Le problème est que tout l’argent de la production semble être passé dans les décors, le carrosse en or et la caméra spéciale . Tout se passe comme s’il ne restait plus rien pour payer le montage, les scénaristes, les dialoguistes et les acteurs.


La production italienne de Francesco Alliata a imposé un casting à moitié italien. Renoir choisit donc plus ou moins contraint Anna Magnani qui était la vedette de Vulcano le précédent film produit par Alliata. Ce ne fut pas sans quelques petits soucis car la diva, passant ses nuits dans les cabarets, fumant comme un sapeur et buvant sec, arrivait systématiquement en retard avec des valises sous les yeux.


Le film lui-même est plutôt difficile à appréhender. L’éclectisme de Renoir, pour rester poli, se retrouve à tous les niveaux. D’abord le tournage s’est fait en anglais, Renoir étant Américain, et comme la moitié des acteurs sont anglais, on croit en permanence que The Golden Coach se déroule à la cour d’Angleterre.


Ensuite le mélange de la bruyante commedia dell’ arte italienne et des décors du palais donnent l’impression d’assister aux vacances des pensionnaires de la Maison Tellier au château de Versailles. Les trop nombreux personnages, acteurs italiens masqués, fiers hidalgos ou nobles en perruques nous sont étrangers et sont en plus difficilement reconnaissables. Parmi eux se trouve un certain Felipe, un certain Ramon le torero et Son Altesse le vice-roi des Indes d’Amérique. Ces trois-là sont tous amoureux de Colombine (la Magnani). Et on se demande bien pourquoi quand on voit la tête maussade et fatiguée de l’actrice aux valises, beaucoup plus à son aise pour jouer les pasionaria italiennes.


A un moment donné Son Altesse offre le Carrosse d’Or à Colombine sur un coup de tête. Rien ne se passe comme prévu et à partir de là le film tombe dans le mélodrame politique. Encore une fois le scénario éclectique est toc. Les nobles espagnols sont très mécontents, ils veulent chasser le vice-roi car le Carrosse d’Or est une propriété de l’État. L’épouse du vice-roi n’est pas contente elle non plus. Quant à Colombine, dont la noblesse intérieure s’est révélée d’un coup, elle s’est transformée subitement en tragédienne classique toute vêtue de noir. Dans un grand geste plein de noblesse elle offre généreusement le carrosse à l’Église, et choisit ensuite de consacrer sa vie au théâtre comme on entre en religion.


Avec cette réplique finale à l’image de tout le film, mou et pauvre en imagination.


« Felipe, Ramon et le vice-roi ont disparu. Ils te manquent ?


Réponse de Colombine :


_Un peu. »



Un peu ? « Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme ! On pouvait
dire... Oh! Dieu!... bien des choses en somme » .(Cyrano)



Le Carrosse d’Or pose paraît-il la question: Où commence la vie ? Où finit le théâtre ?
La réflexion sur le théâtre et ses correspondances avec la vie est un des sujets les plus rebattus qui soient depuis au moins les comédies de Molière. C’est une bouteille à l’encre qui rappelle douloureusement pour moi les heures les plus sombres des programmes scolaires quand l’auteur de la pièce n’avait visiblement rien d’intéressant à dire.


Je me demande encore comment cette citrouille en Technicolor a pu se transformer en carrosse.

Zolo31
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le 18 sept. 2019

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Zolo31

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