Une bizarrerie assez incroyable, qui se déroule dans le magnifique décor des Alpes du Sud-Est, non-loin de Saint-Martin-Vésubie, lové au creux des montagnes de la vallée des merveilles : on voit Jean Gabin, médecin parisien de son métier, y débarquer pour effectuer un remplacement dans un coin de ruralité prononcée, ayant des convictions en matière d'obstétrique rudement avant-gardistes. Le point de vue du film épouse ainsi celui de son protagoniste pour se faire le fer de lance d'un féminisme vraiment incroyable, en cette année 1957, qui se permet au-delà de cela de terminer sur un accouchement capté en mode documentaire frontal (quelques inserts en gros plans, du moins) franchement impossible à anticiper. Un sacré tabou cinématographique mis à mal — on pense au très récent Énorme, de Sophie Letourneur, forcément.
Bon, bien sûr il faut mettre de côté le discours sur la science, qui met d'un côté les méchants médecins qui pratiquent bêtement et de manière aristocratique la médecine classique et de l'autre le génie de l'innovation qui sait que son traitement va fonctionner avant même de l'avoir testé — rejoignant en cela l'encart final : "Ce film est dédié respectueusement aux pionniers de la méthode psychoprophylactique d’accouchement sans douleur. Il a été réalisé avec l’aide de la maternité des métallurgistes à Paris où cette méthode a été pratiquée la première fois en France en 1952." Ce n'est clairement pas la partie la plus pertinente du film. Mais pour le reste, deux choses au moins valent le détour : la description de la ruralité et la poussée de féminisme jovial et revendicateur qui irrigue le dernier temps.
La méfiance qu'inspire le nouveau docteur (parisien de surcroît) dans ce petit village provençal donne à Jean-Paul Le Chanois l'occasion de développer un tissu d'opprobre qui s'étend progressivement dans la vallée, à l'encontre de Gabin et de son plaidoyer militant pour un accouchement sans douleur (qui paraît tellement facile, c'est plutôt drôle, mais passons). Une division gangrène le village, avec d'un côté les personnes ouvertes à cette nouvelle méthode et de l'autre les sceptiques qui y voient un charlatan. L'occasion de dépeindre une mentalité masculine conservatrice à grands traits, et par opposition un féminisme joyeux qui se libère de son carcan en prenant les devants pour l'accouchement final : la scène de la prise de pouvoir (par Nicole Courcel et Silvia Monfort surtout, dans une embardée joyeuse et presque soviétique dans son formalisme, en exagérant beaucoup) à travers la conduite du camion est assez folle, aussi folle que l'idée de voir Gabin en médecin progressiste. Le message est lourd, bien sûr, avec un didactisme matraqué un peu trop fortement dans la première moitié, mais non dénué d'humour. Une vraie curiosité des années 50.
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