artistes et cinéma
Une belle surprise que ce documentaire (j'étais tombée sur son nom par hasard en faisant des recherches sur Claude Simon et Iannis Xenakis, tous deux interrogés dans ce film -et très intéressants)...
Par
le 22 mai 2016
Que j'aime les documentaires sur le cinéma d'Eric Rohmer ! Ils sont toujours passionnants. Car les démarches de Rohmer sont vraiment intéressantes. C'est une démarche dissertative, très intellectuelle, qui encourage le spectateur à réfléchir avec lui et avec les intervenants.
Wenders avait réalisé un documentaire intéressant sur le cinéma avec Chambre 666. Il interrogeait des cinéastes en leur posant la question suivante : qu'est-ce que le cinéma, et surtout, quel avenir a-t-il ? Mais ici, dans Le Celluloïd et le Marbre, ce ne sont pas des cinéastes qui parlent du cinéma, mais bien des artistes appartenant à d'autres disciplines (sculpteur, peintres, romancier). Le titre du film est magnifique, et est plein de sens : Le celluloïd, c'est la pellicule, donc c'est Rohmer lui-même, Rohmer face au Marbre, c'est-à-dire face à l'art des bâtisseurs, des constructeurs, à l'art plus matériel et que l'on retrouve dans les musées, comme le dit Rohmer. Mais le cinéma ne tendrait-il pas justement à devenir lui aussi, et peut-être plus que tout autre, un cinéma matériel ?
Le film de Rohmer se construit en trois parties. La première s'intitule « L’art, la réalité », la deuxième « Le mouvement » et la dernière « La vie, l’évasion ». La construction du film est finalement très dialectique, et c'est en cela que je trouve que le film est semblable à un exercice de dissertation. Et j'adore ces démarches là dans les documentaires.
Tout le film aborde un nombre de thèses fascinantes. La première partie est celle qui à mon sens regorge des idées les plus intéressantes. C'est cette partie qui m'a le plus parlé, même si les deux autres sont également d'une grande richesse intellectuelle. Il serait dur de parler du film sans tomber dans la paraphrase finalement, ce film est presque comme un livre, un essai, où l'on découvre des pensées, qui se multiplient, se complètent ou s'affrontent, et le tout donne une vision d'ensemble de ce que pourrait bien être le cinéma. L'art est indicible pour Picasso ; mais indicible, est-ce indéfinissable ? C'est bien là la quête qu'entreprend Rohmer. Je vais souligner malgré tout les quelques idées, les plus fascinantes, les plus stimulantes et les plus pertinentes, à mon sens.
Tout d'abord, j'ai adoré la distinction importante que fait Claude Simon entre le roman filmé, et le film-roman. Le roman filmé, c'est la norme, 95% des films reprennent les codifications littéraires pour faire leur film, et à ce moment là, pour Simon, nous n'assistons pas vraiment à du cinéma en tant qu'art, le cinéma est simplement un outil permettant la poursuite de la littérature. Les principes balzaciens sont repris dans la narration de la majorité des films, les principes de Zola également, et ce cinéma là ne fait que reproduire un roman à partir d'images et de sons. Mais il y a, de l'autre côté le vrai cinéma, c'est le film-roman. Simon ne définit pas clairement ce qu'est le film-roman comparé au roman filmé, mais il dépasse de très loin la simple continuation de la littérature, et le cinéma devient alors art, par l'innovation. Le cinéma ne se contente pas de garder les mêmes schémas littéraires, il est dans l'innovation la plus totale, et Simon parle alors de certains films tels que Le Chien Andalou, Barry Lyndon, L'immortelle, Citizen Kane ou encore Huit et demi. C'est distinction est très forte, et très importante, même si je n'arrive pas encore à la définir véritablement ; j'écris à chaud, et avec le temps (et une réflexion post-visionnage), tout cela deviendra plus clair. Mais j'ai adoré !
J'ai beaucoup aimé aussi ce qu'a pu dire Pierre Klossowski sur le cinéma, qui serait un instrument d'analyse avant d'en être un de création. Que je suis d'accord sans l'être ! Le paradoxe total pour moi ! Car oui, ce qui m'intéresse dans le cinéma, c'est surtout le fond, c'est ce que dit un film, les réflexions qu'il propose, les émotions qu'il suscite, ou encore ses prises de postions idéologiques ; la forme est l'outil du cinéaste pour parvenir à cela. Mais il y a paradoxe, pour deux raisons. Tout d'abord, comme je l'ai dit, la forme est l'outil du cinéaste, la forme se confond avec le fond d'une oeuvre cinématographique, et sans création, il ne peut y avoir d'analyse (la forme, est-ce déjà le fond ?). Et ensuite, le processus d'analyse, n'est-ce pas là une création en soi ? Une création certainement plus intellectuelle qu'artistique, certes, mais une création tout de même. Je suis donc à la fois en total accord et en total désaccord. Mais j'ai trouvé ça, à nouveau passionnant.
J'ai également trouvé les réflexions sur la réalité intéressantes, notamment celles formulées par un des artistes dont malheureusement j'ai oublié le nom car je ne le connaissais pas. Il affirme que le cinéma, au-delà d'être le reflet de la réalité, subit la réalité. La réalité historique, mais aussi la réalité de l'évolution des moeurs et de l'évolution technologique. Quel sera le rôle du cinéma avec l'essor de la télévision ? Mais surtout, le cinéma doit-il n'être qu'un reflet de la réalité, doit-il n'être que le miroir stendhalien ? Car pour Stendhal, ‹‹le roman est un miroir que l'on promène le long du chemin.›› Le cinéma doit-il entreprendre cette voie stendhalienne, ou doit-il la dépasser ? Que de questions terriblement stimulantes. « Il faut donner raison au monde et non à soi-même » disait Kafka, parole rapportée par l’un des artistes interrogés. Je trouve que cela aurait pu être une bonne conclusion au film de Rohmer finalement.
C’est passionnant de voir le Cinéma réfléchir sur lui-même, à partir de l’avis d’artistes qui n’appartiennent pas à ce milieu. C'est un regard à la fois extérieur et intérieur (car ils sont liés tout de même au monde de l'art. Tant de thèses intéressantes sont abordées ! C'est un film d’une très grande richesse intellectuelle, avec un examen minutieux, complet, et abordant tout le spectre des théories sur le cinéma. Un documentaire génial et palpitant, même si parfois inégal au vu du nombre important d'intervenants.
Créée
le 7 janv. 2020
Critique lue 126 fois
D'autres avis sur Le celluloïd et le marbre
Une belle surprise que ce documentaire (j'étais tombée sur son nom par hasard en faisant des recherches sur Claude Simon et Iannis Xenakis, tous deux interrogés dans ce film -et très intéressants)...
Par
le 22 mai 2016
Du même critique
Pièce assez sympathique, mais peu consistance je trouve. Une intrigue excellente, c’est une super idée de renverser les rôles entres maîtres et esclaves, mais je ne la trouve pas forcément bien...
le 23 déc. 2016
7 j'aime
2
Theodoros Angelopoulos est un cinéaste que je veux découvrir depuis très longtemps. Pourtant, je ne savais absolument pas à quoi pouvait ressembler son cinéma, je ne m'étais jamais véritablement...
le 29 nov. 2019
6 j'aime
Film d’une grande étrangeté, et doté d’une terrible angoisse, à l’instar un peu du plus récent Begotten. Une ambiance d’une très grande singularité en tout cas, servie remarquablement par...
le 29 août 2016
6 j'aime
2