Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir un patron communiste... Ce fut néanmoins le cas du naïf et zélé Ivan Sanchine, talentueux projectionniste du cinéma du KGB qui prêta personnellement ses services à Joseph Staline de 1939 jusqu'à sa mort en 1953.
Morceau de cinéma unique du grand Andreï Kontchalovski Le cercle des intimes reste une grosse production hybride, empruntant aussi bien aux ambitions outre-atlantiques qu'au réalisme socialiste propre au cinéma soviétique. Vrai-faux film de propagande nous plongeant dans les arcanes du KGB le film de Kontchalovski figure sans nul doute parmi ses réussites majeures : élégiaque, terrible et d'une beauté quasiment surnaturelle Le cercle des intimes fut tourné en 1991, soit aux dernières heures de l'Union soviétique ; il montre - jusqu'à le mon(s)trer - Staline comme il devait l'être : figure mystérieuse à la bienveillance apparente et au charisme littéralement effrayant... petit père des peuples et figure déifié, in fine.
Toutefois Kontchalovski concentre son récit sur le personnage de Sanchine ( Tom Hulce, magnifique d'expressivité et de nuances inattendues ) modeste camarade du parti tiraillé entre sa ferveur pour le Maître et sa vie familiale pour le moins chaotique. Le réalisateur reprend certains motifs mélodramatiques de ses premiers films ( on pense à La Romance des Amoureux au regard de certaines séquences ) et à l'héritage d'un chef d'oeuvre comme le Quand passent les Cigognes de Kalatozov sorti plus de trente années plus tôt. Kontchalovski retranscrit la fascination de son peuple pour l'Homme d'acier avec une justesse inouïe doublée d'une puissance rarement égalée depuis, capable de reprendre tout un pan des procédés formels inhérents au cinéma de propagande pour mieux les détourner dans le même mouvement de maîtrise.
Staline vu et appréhendé de l'intérieur, donc... On peut a posteriori songer à la trilogie mortuaire des années 2000 de Sokourov ( Taurus et Moloch, principalement...) au regard de ce morceau de cinéma tour à tour solennel, emphatique et au suspense diablement effrayant. Le cercle des intimes - du haut de ses deux heures de métrage flamboyantes et pleinement efficaces - nous plonge dans la violence civilisée des grandes instances soviétiques, lésinant sur l'horreur explicite mais suggérant l'oppression avec grand talent. Une Oeuvre méconnue mais d'une puissance notoire et indiscutable : à découvrir absolument.