Ce film est une véritable jouissance intellectuelle, ainsi qu'une redéfinition parfaite de la notion d'excellence en termes d'éducation.
Une éducation de grande qualité doit-elle contraindre les étudiants à avaler un tas de connaissances sans laisser le moindre champ à la libre pensée ou doit-elle au contraire fournir aux jeunes êtres humains les armes pour mettre en oeuvre au mieux les potentialités créatrices et innovatrices de chaque individu ? Veut-on former des êtres humains dotés de libre arbitre, capables d'anticonformisme et d'innovation, ou des robots/soldats simplement tenus de perpétuer les modèles actuels ?
Ce questionnement pourrait sembler résolu avec les notions modernes d'enfant au centre de l'éducation ou même avec, laissez-moi rire, les "valeurs de base de notre société", mais je crois au contraire que ce thème résonne tout particulièrement dans notre pays si élitiste et dont le système éducatif supérieur semble-t-il le plus efficace ressemble étrangement à la méthode utilisée dans l'académie où se déroule le film.

La scène de la marche dans la cour est à mes yeux cultissime et représentative à elle seule de ce que symbolise le film. Keating a raison: nous devons refuser à toute force de céder à l'endoctrinement voulu par les forces en présence, tracer notre propre route et surtout en ouvrir de nouvelles, ce qui n'est pas incompatible avec l'idée de société, bien au contraire. On dit souvent qu'une langue qui n'évolue plus est une langue morte: j'ai la conviction qu'il en est de même pour une société.
Einstein disait: "Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il vaut avant tout être soi-même un mouton". Ne pas être un mouton n'implique pas forcément d'être un loup, ou un chien galeux, ce que semblent redouter toutes ces vieilles badernes enfermées dans leurs traditions et leurs certitudes d'homme "expérimenté".

Welton prétend défendre des valeurs dont l'honneur. L'honneur, rien que ça ! C'est d'ailleurs au nom de l'honneur que Cameron justifie ses actes de délation. Mais est-ce donc de l'honneur que de trahir des camarades qui ont partagé avec lui un secret et des expériences extraordinaires ? Est-ce de l'honneur que de participer à la mise en accusation d'un homme, d'un professeur dont la seule faute aura été de libérer la parole de ses élèves et leur permettre d'exprimer leurs aspirations et leur nature profondes ?
Ces questions, ce film les pose, même s'il ne prétend pas forcément y répondre, mais il a le mérite de nous faire réfléchir là-dessus.

J'avoue, non honteusement mais fièrement, que j'ai ressenti une bouffée d'enthousiasme lors de la scène finale, une émotion rare comme peu de films ont su la déclencher chez moi, car derrière l'image de ces élèves levés pour saluer le grand homme qui aura été un peu leur mentor, on peut distinguer celle de l'humanité qui se lève et choisit la voie du progrès, le vrai. On peut simplement interpréter le suicide de Neil comme un acte de désespoir qui permet de justifier la dénomination "drame" du film, mais on peut aussi lui trouver une signification résolument optimiste et engagée: nous défendrons nos convictions envers et contre tout, jusqu'à la mort s'il le faut.

D'un point de vue purement cinéphile, tout concourt à la perfection dans ce film, du scénario, simple mais efficace au jeu des acteurs, impeccable et inspiré, en passant par la mise en scène qui alterne brillamment un enchaînement rapide de séquences et des moments de relâche où l'on prend le temps de savourer une scène. On sent facilement venir les différentes étapes du scénario, mais plutôt que de les anticiper en pestant contre leur prédictibilité, on les vit d'autant plus intensément qu'on les a d'abord imaginées.
Robin Williams mérite cent fois sa nomination aux Oscars, en réussissant l'exploit de créer une tension dramatique en faisant le pitre, et la prestation de Robert Sean Leonard nous fait regretter qu'il n'ait pas percé plus que ça dans le cinéma car il semble autant prédestiné pour la performance que son personnage.



Ce film impose à certains de ses spectateurs un devoir: celui de remercier, s'ils en ont eu la chance, leurs parents de les avoir toujours soutenus dans leurs choix, quels qu'ils soient, et leur avoir permis de devenir celui qu'eux et eux seuls voulaient être.
On terminera par Nietzsche, et tant pis pour la signification originale de cette sentence: "Deviens ce que tu es".
lavoisier
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le 25 mars 2012

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