"Et tout ça, ça fait D'excellents Francais..."

La fin des années 60 constitue une étape importante dans la société française. C'est la fin de l'ère De Gaulle et de l'idéologie qui allait avec. Avec, entre autre, cette "certaine idée de la France" qui avait perduré jusqu'alors, celle d'une France qui, certes, eut quelques collaborateurs, mais une immense majorité de résistants.
Le Chagrin et la Pitié, c'est le film qui marque la fin officielle de cette théorie. Pendant 4 heures, les nombreux témoins interrogés, qu'ils soient français, anglais ou allemands, qu'ils soient anonymes ou célèbres (comme Anthony Eden ou Pierre Mendès-France), dressent de la France un portrait nettement plus contrasté.

Le film est sous-titré "Chronique d'une ville française sous l'occupation". Cette ville, c'est Clermont-Ferrand, et ce choix ne doit rien au hasard. Clermont-Ferrand, c'est la grande ville la plus proche de Vichy (60 km). Le Puy-de-Dôme, c'est le département de Pierre Laval.
Même si le film parle souvent de Clermont-Ferrand et de ses environs, il n'occulte pas non plus les grandes étapes du conflit. Mais j'ai trouvé que les scènes parlant de la vie quotidienne au cœur de l'Auvergne étaient les plus passionnantes du film.
Un film qui alterne donc entretiens réalisés en 1969 et actualités de l'époque. Il ne s'agit pas d'un cours d'histoire mais bien de souvenirs ajoutés bout à bout, une suite de points de vue personnels qui, finalement, dressent un portrait complet. Ophuls ne se contente pas de dresser une liste d'événements mais tente de montrer les psychologies des personnages et d'expliquer l'enchaînement de ces événements.
Et l’image de la France est beaucoup plus complexe que la simple opposition entre un envahisseur tyrannique et de valeureux combattants pour la démocratie. "Si on avait fait un référendum en 1940, il y aurait eu 90% de voix pour Pétain". Le Reich représentait l'ordre, le travail, des valeurs sures, son armée fascinait surtout la jeunesse. La propagande, du moins dans un premier temps, touchait largement sa cible, montrant une France qui a été détruite progressivement par les derniers gouvernements.
Les témoignages montrent aussi que ce ne sont pas les Nazis qui ont emmené l'antisémitisme avec eux ; la situation a fait resurgir une haine latente présente en de nombreuses personnes. ça a "décomplexé" des idéologies aigries et frustrées.

La seconde partie débute en 1942, quand l'armée allemande envahit la "Zone Libre". Clermont Ferrand voit alors arriver les soldats germaniques.
Cette seconde partie va alors se concentrer, en grande partie, sur la résistance. Et, là aussi, l'image qui en ressort est beaucoup plus contrastée que ce que la propagande gaullienne avait dit jusque là. L'image d'une résistance unie et indivisible face à l'ennemi commun est prend un coup dans la figure. Les cathos s'opposent aux communistes qui, eux, ne respectent pas les ordres venus de Londres, etc.
Les explications sur l'entrée en résistance sont aussi assez diverses. Pour l'un, les résistants étaient des "ratés", des marginaux qui n'avaient rien à perdre, car ceux qui avaient réussi leur vie n'avaient rien à craindre de l'Occupation. Pour un autre, la résistance était naturelle, presque innée, génétique. Et puis, "il y a ceux qui se disaient résistants mais qui en profitaient pour voler et piller".
Et qui dit résistance dit aussi collaboration. "Si les Allemands n'avaient eu que leur propre Gestapo, ils n'auraient pas fait la moitié du mal qu'ils ont fait." Le propos est clair, évident de nos jours mais novateur encore dans les années 60 : la responsabilité de l'état français, de sa police et de sa gendarmerie. Comme simple exemple, il suffit d'entendre le récit de la rafle du Vel D'Hiv', où la police française a outrepassé les ordres venant d'Allemagne et arrêté même des enfants.
Parmi les passages les plus passionnants il y a l'entretien avec Christian de La Mazière qui faisait partie d'une division française de la Waffen SS. Pourquoi, comment devient-on membre d'une telle division ? Que savait-il ? Qu'ignorait-il ? Ses paroles sont peut-être les plus riches d'enseignements.

En bref, voilà 4 heures absolument passionnantes, profondes, essentielles.
SanFelice
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le 24 avr. 2013

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SanFelice

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