Ce film fait partie de mon "rattrapage culturel" version "je suis curieux de voir ce film."
Scénario :
Marcel Ophuls prend la ville de Clermont Ferrand afin de faire un documentaire sur ce qu'il s'est passé durant la seconde guerre mondiale, et notamment l'occupation. Il filme alors des témoins de l'époque (parmis eux, Pierre Mendes France) qu'ils aient été résistants ou plutôt accueillant envers les forces Allemandes.
Ha, oui, évidemment, habituellement je fais un résumé comique des films que j'ai vu, mais là, j'ai un peu de mal.
En tant que sujet d'étude :
Le film était dans ma liste parce qu'il a fait scandale à sa sortie. Alors que la guerre était finie depuis plus de vingt ans, ce fut le premier film à aborder la question de la collaboration.
Nous sommes au début des années 70 et aucune des deux télévisions d'état ne veulent entendre parler de ce film : si on voit bel et bien des résistants, on parle aussi des collabos. Et malgré le fait que la guerre soit finie depuis 25 ans, il faut faire une union nationale et donner un récit d'un pays qui était uni dans la guerre où tout le monde était résistant.
Alors, certes, la méthode pourrait paraître pour dégueulasse, Ophuls interrogeant parfois des gens sur leur mensonge avec la réalité : Vendeur manifestement en train de mentir lorsqu'il démend avoir publié un article visant à flatter les allemands, type dans un bar tabac disant "ho vous savez les allemands, on les a pas trop vus" etc... Idem avec certains allemands se justifiant des leurs actes.
Toutefois loin d'être un lynchage public, on trouve plus une tentative d'enquêter sur la vérité : Ophuls entre-coupe les témoignages d'extraits d'actualité sur l'époque, interroge des témoins, français comme allemands, et remet les choses en contexte. Le réalisateur, en tant que fils de cinéaste allemand ayant vécu en France après la guerre, était aux Etats Unis au moment des faits, ce qui lui permet d'avoir une position neutre et d'interviewer les uns comme les autres.
Le documentaire est assez intéressant puisque l'on voit des témoins qui sont mort depuis longtemps (Pierre Mendes France notamment, qui raconte de façon assez ahurissante, comment il s'est enfuit de la prison où les collabos l'avait mis) et qu'on voit, sans fard, des gens nous raconter des anecdotes de l'époque. Parfois avec leur accent du terroir ou leur franc parler. On y voit aussi un ancien collabo, médaillé de la croix de fer, expliquer, tout en franchise, ce qu'ils y faisaient et pourquoi, lui, a été fasciné par l'Allemagne.
Et surtout, si on le voit interroger à la fois certains anciens résistants et certains ancien collabos, il prend surtout le parti de parler des gens qui n'étaient ni l'un, ni l'autre : celui de gens qui tentaient juste de vivre même s'ils voyaient d'un mauvais oeil l'occupation. Il rappelle de façon très intéressante que la préoccupation n°1 des français durant l'occupation était juste de savoir comment pouvoir manger et comment faire survivre sa famille. Et que, si l'on peut juger de l'Histoire maintenant qu'on en connait bien des détails, la propagande, le peu de nouvelle du front, l'incertitude de savoir quel camp soutenir, a poussé les gens à faire n'importe quoi.
Mon avis personnel :
Alors, certes, c'est loin d'être la joie, mais ce documentaire garde quand même sa force 50 ans plus tard.
La voix off d'Ophuls fait très vieillotte, le montage aussi, il y a des inserts étranges aussi (on ne voit pas les personnes parler mais des gens qui les écoutent) et le film fait tout de même 4 heures. ....mais le point de vue abordé est assez intéressant. On part d'une vérité factuelle auquel tout le monde peut souscrire (Clermont Ferrand fut occupée par les allemands) puis on fait des rappels assez aiguisés sur les mentalités de l'époque, en les mettant en parallèle avec la façon dont se justifient les gens concernant leur comportement. On entend sa voix nazillarde prend plaisir parfois à prendre les gens en faux, mais pour le coup, on est loin de la voix off rajoutée en post-prod.
Du coup, je me suis repris, en coup de poing, des trucs que j'avais oublié ou que j'ignorais :
- Le racisme des actualités allemandes expliquant notre défaite par le fait que l'armée française était composée de noirs et des maghrébins qui l'on amené à la "dégénérescence."
- Le fait qu'Hitler nous détestait et aurait préféré annexer l'Angleterre, qu'il admirait.
- La façon dont les journaux ont pointés du doigt les anglais comme étant les responsables de la débâcle. Les français ne pouvaient pas perdre, si on a perdu, c'est pas parce qu'on était désorganisé et que l'allemagne était plus forte. Il fallait trouver des boucs émissaire.
- La façon dont certains membres de l'armée française (Mendes France, en tête) ont été considérés comme des traitres après la défaite.
- Le fait que les français considéraient Pétain comme le vainqueur de Verdun et limite comme un socialiste. ("S'il y avait eu un référendum en 40, 90% des gens auraient votés Pétain.")
- La police française sous l'occupation a encore plus provoqué de mort (Communiste, juifs déportés, etc...) que n'a fait l'armée allemande elle-même sur le territoire français. (Sans doute le point qui a le plus fait grincer des dents.)
En plus d'être un bon documentaire sur la seconde guerre mondiale, c'est aussi un documentaire sur la mauvaise foi, sur la façon dont on se trouve des excuses. Comme le dit un ancien résistant dans la seconde partie : "les gars ils disaient, "on aurait bien aimé faire partie de la résistance, mais on a pas trouvé." Si un couillon comme moi il a réussi à trouver, je vois pas comment ils ont fait pour pas trouver."
Le documentaire s'extrait aussi de la morosité d'un tel sujet : si certaines anecdotes sont glaçantes, d'autres sont amusantes et pleine de vie. Il y a une forme d'humanité qui se dégage des témoignages, en laissant parler les gens avec leur patois, leurs expressions diverses. Et leurs blagues ("Je me dis que j'aurais dû faire du marché noir je me serai enrichi, j'ai fait la résistance, on me prend pour un vieux con.") Une manière de faire en sorte de raconter une histoire plus que de porter un jugement.
Bon après, je ne vais pas vous la faire "père la morale" comme ceux qui vous disent "il faut absolument que vous voyez Shoah de Claude Langsman" ou "si t'as pas vu la Liste de Schindler, tu ne connait rien à la guerre." Mais je vous le conseille fortement.