Conques en Aveyron. Conques, la bien nommée, la coquille sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, le coquillage, l’abri, le refuge ultime, niché au creux de la vallée de l’Ouche, avant sa rencontre avec le Dourdou. Un refuge qui pourra accueillir, en six sessions d’une semaine réparties sur un an, une dizaine de jeunes réfugiés issus d’Erythrée, du Soudan, de Somalie, de Guinée, de RDC, traumatisés par leur passage dans les camps lybiens. Le puissant documentaire de Cécile Allegra (née en 1976 à Rome) les cueille à l’automne et les suit jusqu’à l’été suivant dans leur parcours de cicatrisation psychique et de reconstruction.
En 2014, la réalisatrice avait tourné « Voyage en Barbarie », Prix Albert Londres 2015, qui s’attachait déjà aux pas de six survivants des camps dans le désert du Sinaï. Suite à la tentative de suicide de l’un de ces rescapés, dont elle avait pourtant soutenu la démarche de demande d’asile en France, elle souhaite pousser plus loin encore son engagement de témoin puis d’acteur, et fonde en 2016, à Conques, l’association Limbo : une vingtaine de personnes, psychologues, art-thérapeutes et militants, accompagneront ces réfugiés dans leur délicat retour vers une vie pleine. En 2018, se greffe un nouvel acteur : Mathias Duplessy, musicien virtuose et protéiforme, grand connaisseur des musiques du monde et des instruments ethniques. Portés par sa délicatesse et sa créativité, une dizaine de réfugiés mettront des mots sur leurs douleurs et apprendront à les chanter, sur les airs et accompagnements de Mathias.Transposer l’horreur en beauté, narguer la mort et en faire un chant. Les mélodies sont douces, comme persuasives, pour amener l’auditeur à accepter d’entendre l’horreur. Mais la parole est nue, brute en la violence dite, si elle n’était habillée de musique. L’expérience dont ce documentaire rend témoignage est bouleversante.
Bouleversante, aussi du fait que la douceur est le maître mot du film, alors que les maux endurés auraient pu ne créer qu’aspérités et tranchants. Douceur incroyable des traits, et même des gestes de ces réfugiés, si bien qu’une immense beauté infiniment touchante émane de chacun d’eux. Douceur presque caressante de leur diction. Douceur des entretiens qui, à pas prudents et feutrés, essayent de les conduire à accoucher de l’horreur. Mais aussi et surtout, douceur incroyable du vallon de Conques, douceur de l’automne, qui adoucit les douleurs de ces couleurs chaleureuses, douceur de l’hiver nu qui sait accompagner le désarroi et le dénuement, douceur de l’été triomphant qui, avec l’émergence d’une musique de plus en plus affirmée, ose clamer le retour vers la vie, douceur de l’eau du Dourdou qui lave les plaies et conduit au-delà des drames vécus dans l’eau salée de la mer (mention spéciale au terrible « Petit frère » chanté par Chérif…). Extraordinaire douceur, enfin, et sublime harmonie de la photographie de Thibault Delavigne, qui excelle à recueillir la beauté grave de Conques et des visages, et laisse inscrite en nous l’image d’un arbre d’hiver et de ses longues branches au bout desquelles scintillent des perles de pluie, comme autant de larmes secrètement porteuses d’espoir.