Le Chant du Loup est une sorte d'OVNI.
Un OVNI dans le panorama français de la production cinématographique moderne. Car l'oeuvre a tout du projet casse-gueule prêt à s'écrouler sous le poids de ce qu'il veut représenter, de ses inspirations et du genre qu'il aborde.
J'ai lu à plusieurs reprises, sur le site et par ailleurs, que Le Chant du Loup serait trop ambitieux pour son propre bien. Mais merde ! Depuis quand, au juste, est-ce devenu une tare de voir les choses en grand ? Surtout quand on dénonce dans le même mouvement la frilosité castratrice du système ?
Mais bon, on n'est plus à un paradoxe près, n'est-ce pas ?
Comme si le cinéma français des années soixante-dix, tout aussi ambitieux, ou du début des années 2000, n'avait pas été formidable, tant dans les thématiques abordées, par son audace ou son exécution formelle.
Serait-il interdit de proposer autre chose, en 2019, que de la comédie vaine, rance, pantouflarde et sans aucune prise de risque puisque le retour sur investissement est quasi assuré ?
D'autant plus que Le Chant du Loup réussit un double exploit :
Il est tout d'abord d'une réussite de tous les instants, à l'image de ce premier quart d'heure tétanisant, vécu en apnée et dans le casque d'une oreille universelle qui gamberge, et dont on sent tout le poids de la destinée de l'équipage reposer sur ses épaules. Un surdoué, comparable à celui évoluant dans Colt 45, qui traquera, dans le premier tiers du film, sa baleine blanche et son écho sonore impossible qui l'a induit en erreur.
L'oeuvre ne souffre d'aucun temps mort, que ce soit dans les profondeurs ou, momentanément, sur une terre ferme illuminée par la beauté radieuse de la sublime Paula Beer. L'oeuvre se joue de notre ouïe comme aucune autre depuis bien longtemps, nous plongeant un peu plus encore dans la tête et les obsessions de son personnage principal entouré de la plus fine fleur française en matière d'acteurs.
Mais surtout, Le Chant du Loup, en forme de sublime mélopée (par le plaisir procuré) ou d'intense requiem (dans le caractère inéluctable de son intrigue) réussit le tour de force de défier le savoir faire hollywoodien et, surtout, de le mettre à l'amende dès lors qu'il s'agit de gérer la tension et le stress des milieux confinés où il évolue. Car jamais Antonin Baudry ne dédaigne l'humain. Car jamais il ne relâche la pression, ni ne laissera le spectateur se remettre de ses émotions ou éprouver un quelconque soulagement.
Non.
Car constamment tendu, constamment à se dire que le pire peut arriver, le spectateur est trop occupé à s'en faire pour un équipage a priori piégé des raideurs militaires garantes de l'efficacité d'une force de dissuasion. Il est trop occupé à mesurer les conséquences mondiales du dénouement d'une politique fiction réaliste aux accents très Tom Clancy converti à la réalité européenne.
Une telle virtuosité dans la conduite d'un spectacle à haute tension, une telle maîtrise dans la rythmique du film, une telle facilité à emporter le public dans un suspens haletant ne peuvent qu'être saluées. Au point de douter que l'on ait réellement affaire à un film français. C'est dire la prodigieuse réussite.
C'est ce film qui devrait être salué à l'heure des comptes de la fin 2019. C'est ce film qui devrait se distinguer dans le honteux marasme actuel. Mais on sait bien, en ces temps de comédies qui rapportent, que cela ne restera qu'un doux rêve, n'est-ce pas ?
Pour une fois que je désire de tout mon coeur perdre un pari...
Behind_the_Mask, à la poursuite d'Octobre Rouge.