Difficile, durant le visionnage du Chant du Loup, de faire abstraction des films de Sidney Lumet, Point Limite (traitement tragique), et de Stanley Kubrick, Dr Folamour (traitement comique), basés comme le film en question sur une histoire de potentielle guerre nucléaire suite au déclenchement d’une procédure d’attaque censée ne pas pouvoir être annulable par un contre ordre.
Là où logiquement les films des deux grands réalisateurs s'inscrivent dans le contexte de la guerre froide, 1964 pour rappel soit quelques années après la crise des missiles à Cuba, ce qui renforce l’immersion et le sentiment de “réalité”, d’une certaine plausibilité, Antonin Baudry lui aussi souhaite s’inscrire dans son contexte internationale en évoquant menace djihadiste, présence russe opposée au camp européen. Néanmoins, je ne retrouve pas ce sentiment et le tout me paraît quelque peu tiré par les cheveux, tant sur le fond que dans son traitement. Mais passons, là n’est pas le plus important.
En effet, je trouve le film globalement raté, au-delà du coté “c’est bien pour un film française”, “c’est audacieux pour un film français/premier film” etc, sur ses aspects centraux.
D’une part, avec ou sans référence à Point Limite, la décomposition du film en trois phases (peut être pas explicite, mais c’est ce que j’en retiens) coupe l’intensité du film et ne permet pas de maintenir une pression durable et constante sur le spectateur. Une des forces du film de Lumet était justement de captiver jusqu’à l’asphyxie du début à la fin. Je pense donc que si le film était composé d’une seule phase en sous marin (avec si besoin une alternance avec des scènes “à terre”, comme Kubrick et Lumet le faisaient avec une alternance air/sol, sur la forme d'un demi huis clos) la tension aurait été plus forte et plus palpable.
D’autre part, c’est lié, mais j’ai trouvé en grande partie superfétatoire cette longue séquence sur terre. Outre permettre d’installer et développer l’intrigue (sans nécessité pour moi, et avec quelques facilités scénaristiques tout de même) elle est une occasion pour le réalisateur de tenter de brosser un portrait des différents personnages mais sans grand relief : le militaire qui ne voit pas sa famille, celui qui vit seul, etc (et je ne parle même pas de cette amourette puérile qui paraît plus être là pour cocher une case que n’apporte réellement quelque chose au récit) pour montrer les “conditions” de vie parfois difficile de ces hommes éloignés de chez eux pendant une longue période et la difficulté de hiérarchiser leurs “devoirs” entre famille et “patrie”. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais je ne vois pas trop l’intérêt d’aborder ces points ici. Surtout que bon, globalement, on ne peut pas dire que les différents personnages soient très intéressants. Du même que le niveau des acteurs (ou de leur directions), entre un Omar Sy qui semble perdu, un Reda Kateb assez ridicule et un Kassovitz dispensable. Seul François Civil semble se distinguer.
Le deuxième point qui m’a particulièrement déçu c’est le non investissement jusqu’au bout de ce côté “documentaire-réaliste” au niveau du poste d’écoute au sein du sous marin. Globalement, je suis même sorti du film en trouvant que son usage était presque secondaire alors que tout le film aurait dû tourner autour et les séquences de ce point de vue bien plus présentes. C’était là je pense où aurait pu être présente toute la magie du film. On peut tout de même mettre au crédit du réalisateur de nous immerger au départ dans le poste de commandement du sous marin, immersion plutôt efficace en plongeant le spectateur au milieu de l'équipage échangeant avec leur jargon technique propre et peu compréhensible pour le profane.
Dans cette optique je trouve regrettable que le “son”, le “bruit” (capté par le sous marin) et surtout, le silence, soient eux aussi sous utilisés alors que la tension du film aurait réellement pu reposer sur ce socle. C’était pour moi une des originalités du film à mieux mettre en avant. Bien trop souvent c’est d’ailleurs un accompagnement musicale fort classique qui occupe l’espace sonore (pseudo grandiloquent), et a contribué à me faire sortir du film.
Dans le même ordre d’idée que l’utilisation d’une musique à “grand spectacle” le film verse un peu trop dans le spectaculaire, le “hollywoodien made in France” (je préfère ne même pas évoquer cette scène de lance roquette …) au détriment d’une sobriété visuelle et de mise en scène.
La question étant, Antonin Baudry aurait-il pu faire son film en étant plus Lumet que Cameron ?
PS : La force du film, c’est de m’avoir furieusement donné envie de revoir Point Limite et de sortir mon DVD poussiéreux de Das Boot. Merci pour ça, déjà.