Publié en 1958, " 120 minutes pour sauver le monde" est un roman américain , il est traduit en français pour les éditions Fayard en 1959. En 1964, Stanley Kubrick en fait une adaptation très libre sous forme d'une comédie militaire satirique Docteur Folamour ou : comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe .

Sydney Lumet travaille au même moment sur un scénario identique adapté du roman Fail-Safe paru en 1962 dont les deux auteurs John Harvey Wheeler et Eugene Burdick sont accusés de plagiat par Bryan Peters pseudonyme pour la France de Peter George et auteur du premier roman évoqué.

Le film de Sydney Lumet prendra comme titre de son film celui du roman qu'il a adapté : Fail-Safe. Stanley Kubrick entame une procédure pour empêcher sa sortie mais n'aboutira qu'à la différer. Le film de Sydney Lumet n'a rien d'une comédie, ni d'une satire militaire. Il est une adaptation très proche des préoccupations et interrogations des deux auteurs du roman pour ce qui concerne les risques que font courir la guerre froide, l'armement nucléaire et les dangers d'un équilibre de la terreur fondé sur de telles armes.

Cette querelle entre romanciers doublée d'une autre entre cinéastes est une bataille autour d'un concept dont les enjeux restent d'actualité. Il relève de l'universalité alors que les quatre créateurs artistiques le réduisent à une querelle de droits et une guerre commerciale. La prévention, la prudence et le renforcement de mesures de sécurité autour de l'existence d'une arme dont la puissance dépasse l'entendement, ne peuvent pas être réduits à une question de propriété intellectuelle des droits. La mise en lumière des risques qui pèsent sur la paix mondiale ne peut pas être soumis à l'autorisation de celui qui les auraient perçus le premier.

Stanley Kubrick, puis Sydney Lumet rejoint par Stephen Frears au premier semestre de l'année 2000 avec une nouvelle version de Point Limite (signifié du concept de fail-sail dans ce qui nous préoccupe). En février 2019, une nouvelle version, française cette fois, est sur les écrans : Le chant du loup d'Antonin Baudry.

Le concept FAIL-SAFE qu'en français on traduit généralement par « sécurité intégrée » mérite une explication avant de poursuivre. Toute machine, tout système est susceptible de présenter des failles de sécurité et d'échapper au contrôle de ses initiateurs. De même, l'erreur humaine étant toujours possible, il est nécessaire de la réduire au minimum par des correcteurs automatiques. Ainsi la lame d'une tondeuse à gazon doit cesser de tourner dès que son conducteur relâche involontairement ou non le levier de commande, les commandes vitales d'un avion sont doublées voire triplées pour parer aux défaillances, les coupe-circuits électriques, les manipulations manuelles susceptibles de se substituer à des automatismes, des analyseurs numériques de pertinence sont autant de Fail-Safe qu'il convient de perfectionner sans cesse.

Le thème cinématographique qui nous occupe est celui de la dissuasion nucléaire. Le problème s'y pose dans les mêmes termes mais d'une manière plus intense et avec des enjeux bien supérieurs aux risques encourus par une simple affaire de portail qui ne veut plus s'ouvrir ou par une tondeuse à gazon qui continue sa folle course dans un parterre de fleurs.

La décision d'utilisation puis la mise en œuvre de l'arme nucléaire relèvent de procédures de sécurité renforcées, l'éventualité d'une prise de contrôle d'une étape de cette procédure par un ennemi doit être envisagée mais une possibilité de tout remettre en cause à chaque étape de la procédure ne peut pas être négligée ce qui repose une nouvelle fois le danger d'un risque d'intervention extérieure hostile.

Le film de Sydney Lumet et aujourd'hui Le chant du loup d'Antonin Baudry s'inscrivent dans cette problématique. Le premier met en scène les bombardiers stratégiques de l'US Air Force et le second les sous-marins lanceurs d'engins nucléaires de notre Marine Nationale.

La stratégie de dissuasion nucléaire repose sur la possession d'armes nucléaires et d'une capacité réelle suffisante à les mettre en œuvre. En ce qui nous concerne, cette capacité repose sur une composante océanique, ce sont les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, les fameux SNLE dont le port d'attache est la presqu'île de l'Ile Longue dans la rade de Brest et une composante aéroportée qui s'articule autour des Forces aériennes stratégiques et la Force aéronavale nucléaire. Cette dernière composante étant plus visible que la première en immersion en principe non détectable.

Le film Le chant du loup qui vient de sortir sur les écrans a pour cadre l'univers des SNLE*. Un missile nucléaire est tiré en direction de la France à partir d'un sous-marin russe navigant dans la mer de Béring et le sous-marin français L'Effroyable est chargé de son interception et de sa destruction. Tels sont le thème et l'argument du film.

L'Effroyable a reçu l'ordre de destruction du missile menaçant à l'aide d'un missile mer-air conventionnel. Il va échouer dans sa mission. La menace persiste donc et la procédure de riposte à une attaque nucléaire est enclenchée conformément à la stratégie de dissuasion. Désormais L'Effroyable se prépare au tir d'un missile doté d'une ogive nucléaire sur une cible située en Russie en représailles. A ce stade de la procédure le commandant du sous-marin prend une totale autonomie, coupe toute liaison et refuse toute intervention de l'Etat-Major de son Arme et même du chef suprême des armées à savoir le président de la République qui sont dès lors réputés être sous le contrôle de l'ennemi.

Dans l'intervalle, un des personnages principaux de l'histoire découvre qu'en fait le missile ennemi n'a pas d'ogive nucléaire ce qui allégeait considérablement sa masse et explique l'échec du tir d'interception. De recoupement en recoupement ce sous-marinier identifie le bâtiment russe d'où le missile a été tiré et consultant les archives de la Marine découvre qu'il a été retiré de l'activité et revendu par les russes à un groupe non identifié dont les intentions n'ont visiblement rien de pacifique.

L'occasion était ainsi offerte par le film de mettre en valeur une spécialité très pointue de la marine et surtout parmi les sous-mariniers : les « oreilles d'or ».
Ils sont comme les « nez » en parfumerie, capables d'identifier tous les bruits sous l'eau, du banc de sardines au sous-marin d'attaque en passant par le cachalot qui folâtre, en outre ils sont entraînés à mémoriser la signature acoustique de chaque navire des marines militaires potentiellement ennemies ou aléatoirement amies. Avis aux amateurs de grands espaces et d'aventures inhabituelles : la Marine Nationale recrute...En sortant de la séance de cinéma, je me suis moi-même dirigé spontanément vers le premier bureau de recrutement de notre Marine Nationale avant de reprendre enfin mes esprits.

C'est quand « l'oreille d'or » découvre le pot aux roses dans les archives du CIRA * que l'intrigue se noue enfin. Nous avons été abusés et piégés par des djihadistes qui rêvent de déclencher un conflit généralisé entre la France et la Russie. Le simulacre d'attaque nucléaire cherchait à provoquer notre riposte et enclencher une escalade dans l'usage d'armes nucléaires et conventionnelles dont ils pensaient pouvoir tirer profit.

L'ordre est donné d'entrer en contact avec le commandant de l'Effroyable par tous les moyens pour éviter le pire. En dernier recours, il faudra aller jusqu'à la destruction de notre propre sous-marin. Un amiral accompagné de « l' oreille d'or » chargé de localiser L'Effroyable est spectaculairement hélitreuillé sur un sous-marin d'attaque chargé de la traque.

La dernière scène du film est une cérémonie d'hommage aux marins des deux sous-marins de notre Marine qui se sont mutuellement détruits, ce qui ne présente strictement aucun intérêt. Tout à fait accessoirement apprenons-nous au détour d'une conversation que le fameux missile djihadiste sans ogive nucléaire s'est écrasé dans la forêt de Fontainebleau sans faire de dégâts.

L'histoire est belle et à bien des égards intéressante mais le film est décevant. La succession de plans rapides, trépidants parfois, se font au détriment de ce que ces soldats placés dans une situation extrême peuvent ressentir et des dilemmes que les principaux protagonistes peuvent vivre. La mise en scène oscille entre le film faussement d'action et une succession de clips publicitaires pour la Marine Nationale. Reda Kateb, Omar Sy et Mathieu Kassowitz ne sont pas vraiment convaincants dans leurs rôles.

Le film de Lumet est sorti sur les écrans en 1964, en pleine guerre froide, avec dans le rôle du président américain, commandant in chief, Henry Fonda sur lequel repose l'essentiel du film. Les bombardiers stratégiques américains qui tiennent l'air en se relayant 24 h sur 24h effectuent une manœuvre qui consiste à se diriger vers la Russie soviétique jusqu'à une limite précise à partir de laquelle ils rebroussent chemin. Ce point de non retour donnera son nom français au film Point Limite, Fail-Safe en étant le titre anglais. Ce jour- là, un appareil de transmission tombe en panne et l'ordre de retour n'est pas reçu par les trois bombardiers concernés qui franchiront le point limite en parcourant une distance au-delà de laquelle ils ne doivent plus accepter aucun ordre quoiqu'il arrive et continuer vers un objectif secret contenu dans une enveloppe cachetée à bord.

Le président rejoint alors son bunker de crise sous la Maison Blanche avec ses conseillers civils et militaires. Deux positions s'affrontent : un conseiller civil se transforme en faucon et préconise que l'occasion est belle d'attaquer en force l'URSS en ne lui laissant pas le temps d'organiser des représailles, un général recommande que tout soit mis en œuvre pour que l'irréparable ne se produise pas.

Une tentative de faire abattre les bombardiers désormais incontrôlables échoue. Décision est prise de fournir aux russes les informations nécessaires pour que leur chasse abatte les avions américains. Nouvel échec jusqu'à la solution ultime que je ne révélerai pas.

Pas de débauche de moyens dans le film de Sydney Lumet. Ce sont les protagonistes de l'argument qui sont le centre du film et les dialogues sont une invitation à partager le dilemme qu'ils vivent. Le dilemme des protagonistes du côté russe est également restitué sans caricature ni manichéisme. Les deux parties sont dans une situation qui n'a rien d'improbable et les discussions dans chaque camp sont d'une grande crédibilité. Le suspense et l'intensité des situations sont réels et se déroulent à un rythme qui permet à tout moment de prendre part aux interrogations des uns et des autres et de partager les doutes de chacun des acteurs de la tragédie qui se noue.

J'ai vu le film de Sydney Lumet comme je lis un livre. En faisant des pauses. Non pas en le regardant en fractionné, le réalisateur lui-même ménage des baisses de tension comme pour nous accorder un temps de réflexion avant de prendre notre décision pour mieux la confronter à celles prises dans le film. A aucun moment, je n'ai eu le sentiment qu'on me forçait la main ou qu'on cherchait à m'entraîner sur une voie qui ne serait pas la mienne.

C'est tout le contraire de l'entreprise d'Antonin Baudry qui cherche à nous enrôler dans tous les sens du terme. Le message est simple, simpliste même : notre politique de dissuasion nucléaire est la bonne, notre Marine Nationale s'est donnée les moyens de la mettre en œuvre et toutes les éventualités sont envisagées avec des réponses pratiques et toujours efficaces ce d'autant plus que nos soldats disciplinés et leurs chefs compétents sont prêts à aller au sacrifice suprême presque sans états d'âmes.

Tout cela est trop court, trop rapide et de ce fait le compte n'y est pas.

*SNLE:Sous-marin Nucléaire Lanceurs d'Engin
*CIRA : Centre d'Interprétation et de Reconnaissance Acoustique basé à Toulon.

Freddy-Klein
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le 25 févr. 2019

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