Le jour où j'ai compris pourquoi j'aimais le cinéma de Hayao Miyazaki.
Rien ne me prédestinait à attribuer à ce film la note suprême. Dès le départ j'avais été prévenu que "Le château dans le ciel" n'était pas le meilleur de sa filmographie. Mais quelle erreur ! Quelle dramatique erreur que de juger ce film à l'aune de toutes les autres œuvres de Miyazaki ! Il n'est pas assez sérieux ? Il n'est pas assez profond ? Il n'est pas assez mûr, ou symbolique peut-être ? C'est vrai, c'est vrai, je dois l'admettre...
Mais si le château dans le ciel n'est pas resté dans l'histoire comme le plus grand succès de Hayao Miyazaki, force est de constater que ce film est peut-être l'un des plus grands films d'aventure qui soit.
Parce que oui, en tout cas au début, j'ai vu dans le château dans le ciel un film d'aventures, et je ne lui ai rien demandé de plus. De bout en bout tout est réussi, tout est beau, drôle, dynamique, sans faille, et...et c'est déjà bien, non ? Largement de quoi égaler un Indiana Jones, voilà quelle était la conclusion à laquelle j'étais arrivé au bout d'une heure de film.
Oui mais voilà. Rien n'est jamais si simple quand on parle de Miyazaki. Il y a toujours dans ses films quelque chose qui le distingue et lui donne cette saveur incomparable que je m'exténuais à tenter d'identifier jusqu'alors. Vous l'avez vu, ma note est positive, très positive, parfaite même, c'est le 10. Je vais donc être condamné à justifier une note qui pourrait être trop vite vue comme la marque du fanboy privé de toute objectivité...ne vous inquiétez pas, j'ai mes raisons, ne serait-ce que la puissance du travail de Hayao Miyazaki qui passe en quelques minutes du film d'aventure gentillet à celui d'un mythe empli de beauté, d'écrasante splendeur.
Imaginez-vous en explorateur. Vous avez rêvé de traverser les montagnes, d'enjamber les vallées et de percer les cieux pour découvrir un monde nouveau. Vous avez rêvé. Vous avez sué. Et puis un jour, le petit garçon que vous êtes prend son envol. Il rencontre des pirates, découvre une machination et combat des méchants. Et après maintes péripéties, il arrive enfin. C'est cette fameuse scène de l'apparition du nouveau monde, et du jardin de Laputa. Le dessin n'y est plus une série de traits, il devient, dans sa mégalomanie autant que dans son génie, le vecteur de l'extraordinaire. L'île imaginée par Miyazaki apparaît entre les nuages, la nuée se dissipe et apparaît une...un...quelque chose de parfait, étroite fusion de l'art aztèque, du jardin à l'anglaise et des constructions massives de Dune. Comment traduire par des mots la vision qui m'a laissé bouche bée ?
Il est arrivé.
Étrangement, c'est quand le garçon a atteint son but que tout commence vraiment. Tout ce qui précédait n'était qu'une formidable introduction : ce n'est qu'après plus d'une heure de film que Hayao Miyazaki entre dans le vif du sujet.
Le jardin est l'improbable alliance du minéral et du végétal. Les fleurs de haute montagne pétillent de couleurs. L'herbe, qui semble si douce sous les pieds, est caressée par le vent. Elle fait des vagues d'un blanc fascinant, qui s'enroulent puis se déroulent dans un bruissement. La pierre est d'un gris sec qui attire irrésistiblement l’œil. Au bord du jardin, c'est le gouffre où se promènent les nuages. Pas un bruit.
Shita et Pazu forment un couple forcé, liés qu'ils sont par une corde qui les retient l'un à l'autre. Le héros prend la jeune fille dans ses bras et, le bonheur scintillant dans les yeux, ils apparaissent comme les découvreurs du monde nouveau qui apparaît sous leurs yeux. C'est une joie que notre monde où tout est cartographié a oublié que la joie de la découverte. La vraie découverte, celle que connut Christophe Colomb sans s'en rendre compte, Pazu et Shita la vivent pleinement. Alors, à ce moment, l'évidence frappe : Miyazaki a tout simplement traduit à cet instant une émotion. Une seule émotion. Mais quelle émotion.
Et quand cette émotion m'a frappé en pleine poitrine, quand la synthèse de la musique, du vent dans les herbes, des arbres à l'imposante ramure et du ciel aux nuages si paisibles m'ont émerveillé, quand les héros ont exulté de la joie de leur découverte, moi, j'ai compris pourquoi j'aimais tant le cinéma de Hayao Miyazaki.
C'est un rêve. Le plus pur des rêves. Un rêve d'enfant, le rêve d'un enfant plongé dans ses livres, ses BD et les mondes qu'il créait pour passer ses journées. Le rêve d'un enfant qui, allongé dans l'herbe par une chaude journée d'été, se disait qu'un jour il sauverait la jeune fille pour la porter dans ses bras au sommet du monde, pour lui montrer tout ce qu'il avait fait pour elle.
Si j'aime le cinéma de Hayao Miyazaki, c'est parce que chacun de ces films retrace précisément un moment de l'enfance. En tous cas, de mon enfance. Et pas seulement la mienne, j'en suis sûr. Merci à ce film de m'avoir ouvert les yeux. Désormais je comprends mes larmes devant Kiki la petite sorcière, ma fascination devant Nausicaä de la Vallée du vent. Désormais je sais pourquoi je crois qu'Hayao Miyazaki est un grand homme : plus qu'un grand génie, plus qu'un dessinateur au talent fou ou un jardinier plantant des graines de beauté dans le cœur des gens -elles pousseront lentement, mais s'ouvriront un jour-, je crois que Hayao Miyazaki est l'un de ceux qui a le mieux compris à quel point il peut être beau, parfois, de ne pas oublier son enfance.
Quand le spectacle est grand et que la musique est immense, on est aveuglé. Plus rien ne compte que le rêve que l'on a sous les yeux : l'île volante apparaît, les violons se déchaînent et c'est un rêve d'enfant qui se réalise : le rêve de Pazu est celui d'une vie. Une vie à rêver le monde, une vie à travailler sous terre en espérant un jour tutoyer les nuages. Quand un rêve d'enfant se réalise, est-ce qu'on a pas le droit de pleurer ?