Boule de Swift
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Pour le premier long-métrage d'animation produit par des studios Ghibli naissant, Hayao Miyazaki réalise déjà une œuvre somme de son début de carrière dans laquelle se retrouvera bon nombre de ses influences mêlées à un paquet de ses obsessions déjà présentes dans ses travaux précédents.
Parmi ses influences, il faut bien entendu commencer par citer Jonathan Swift et ses Voyages de Gulliver qui ont directement inspiré le titre du film comme une partie de l'intrigue concernant une île volante.
Il y a également les films de Paul Grimault, et particulièrement la Bergère et le Ramoneur (dont la version finale est le Roi et l'Oiseau), qui s'avèreront déterminants pour le choix de carrière respectif d' Hayao Miyazaki et d'Isao Takahata.
On peut en effet voir une filiation très nette entre les robots prisonniers de Laputa et le "géant de fer" du film de Paul Grimault. L'un comme l'autre sont les témoins muets d'une civilisation disparue et effectuent des tâches éloignées de leur fonction première. L'un comme l'autre sont en partie responsable de la destruction des deux lieux de pouvoir qui les ont créés.
La figure tyrannique et mégalomane de Muska n'est pas non plus sans rappeler par certains aspects le roi Charles-cinq-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize du film de Prévert et Grimault.
L'intrigue générale et l'appel de l'aventure, la recherche d'un trésor accompagné de pirates,... peuvent bien entendu rappeler l 'île au trésor de Stevenson.
Laputa partage de nombreuses similitudes aussi bien graphique que thématique avec la tour de Babel de Pieter Brueghel l'ancien. Le parallèle entre le récit biblique et la civilisation de Laputa ayant cherché à s’élever trop haut et ayant chuté par excès d’orgeuil est une évidence.
Ces influences ne seraient pas complètes sans parler de celles qu’exercent sur le film les multiples cités utopiques et dystopiques qui parsèment la littérature et le cinéma, de l'île d'Utopie de Thomas Moore au Metropolis de Fritz Lang.
Enfin, difficile de ne pas voir un hommage direct à son père de la part du réalisateur japonais dans le père aviateur et créateur de machines volantes disparu de Pazu.
A travers ces machines volantes extraordinaires aussi diverses qu’étonnantes qui parsèment l’œuvre de Miyazaki, bien au-delà de ce seul Château dans le ciel, c’est l’ombre de son père qui plane au dessus de toute l’œuvre du maître .
Miyazaki aura besoin de revenir d'ailleurs sur cet héritage dans Le Vent se lève afin de gérer le sentiment de culpabilité qu'il ressentait du fait que son père ingénieur avait participé à la création du zéro.
De tous ses films, Laputa est probablement celui qui met le plus en scène ces machines et dans lequel les protagonistes y passent le plus de temps avec Porco Rosso dans un autre registre.
Mais si Tenkū no shiro Rapyuta parait déjà être une œuvre somme de la carrière pourtant assez jeune en tant que réalisateur de Miyazaki, c'est qu'il rassemble une bonne partie de ses obsessions thématiques telles que la relation de l'humanité à la nature, l'opposition entre écologie et technologie, et bien sûr le risque d'autodestruction de l'homme à travers la guerre qu'on avait déjà trouvé dans des films ou séries antérieures comme Nausicaä de la vallée du vent, bien entendu, qui pourrait même se dérouler dans un lointain futur ou un lointain passé de Laputa, mais également dans le méconnu et sous estimé Conan, le fils du futur/ Mirai Shōnen Conan, série d'animation en vingt-six épisodes que je vous conseille franchement ( librement adaptée du roman pour la jeunesse Après la vague d’Alexander Key qui écrira aussi la montagne ensorcelée dont Disney tirera des adapatiations live, mais c’est une autre histoire). On ne peut manquer de penser à Conan et Lana en voyant Pazu et Sheeta.
On y trouve également les prémisses des premiers méchants qui ne le sont pas tant que ça et que l’on retrouvera souvent dans les oeuvres futures de Miyazaki avec la joyeuse bande de pirates menée par la tonitruante mère de famille nombreuse Dora. Au départ les pirates sont de facto des antagonistes cherchant à kidnapper Sheeta pour s’accaparer les trésors de Laputa, mais on s’apercevra de leur bon fond et il passeront d’antagonistes à alliés de nos deux héros.
Le Château dans le ciel est également un des films les plus orienté vers l’action du studio Ghibli avec Nausicaä, Porco Rosso, et Princesse Mononoke. Sa première moitié regorge de scènes de poursuites, de combats, et d’aventures.
La seconde partie est peut-être un rien moins passionante jusqu’à l’arrivée dans la cité légendaire de Laputa.
Laputa est évidemment un symbole du rêve technologique de l'humanité, de cette volonté de s'élever au dessus de sa condition qui se transforme trop souvent en rêve de pouvoir et de domination. La réaction de Pazu et Sheeta à leur arrivée sur Laputa à travers leur émerveillement face à la richesse de l’environnement, la nature ayant repris ses droits sur la ville, contraste avec celle des troupes de Muska qui pillent la ville et s’attachent à ce qu’ils pensent être ses richesses. L’ironie étant que c’est un être mécanique, une machine destinée à la guerre, qui s’est détourné de sa fonction pour assumer un rôle de jardinier qui semble plus prendre conscience de la véritable richesse de Laputa que la horde d’envahisseurs humains venu troubler la paix du lieu.
Et si une machine destinée à la guerre parvient à passer au delà de sa programmation, peut-être l'humanité en est-elle capable également?
Laputa est donc un grand film synthèse d’Hayao Miyazaki à la croisée des chemins entre ses terreurs concernant notre auto-destruction possible à travers celle de la nature pour des motif futiles d’enfants gâtés réclamant leurs jouets technologiques ou le pouvoir, et les valeurs qu’on trouve dans tous les films d’animation des studios fondés par Takahata et Miyazaki ; ces valeurs d’amitié, de loyauté, de solidarité, de conscience écologique, de détermination face à l’adversité, d’espoir et bien sûr d’amour.
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Créée
le 23 févr. 2021
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