Le premier long métrage réalisé seul par Fellini prend pour point de départ une héroïne bovaryenne : au vu de la place accordée au rêve et à la poésie dans la suite de sa filmographie, celle-ci fait figure d’évidence. Refugiée dans ses lectures à l’eau de rose et son amour d’un cinéma bon marché, Wanda profite d’une escapade à Rome, durant laquelle son mari va mondaniser et, honneur suprême, se voir convier à une audience du Pape, pour aller voir des idoles.
Ce qui devait être une visite clandestine à la volée se transforme en périple incontrôlé, et commande la mécanique d’un récit alterné entre les aventures folles de l’épouse et la panique contenue du mari à la recherche de sa femme tout en faisant bonne figure devant la famille visitée.
Bien moins dans la veine néoréaliste que certains de ses films suivants, Le Cheik Blanc est avant tout une satire : de la naïveté d’une provinciale, de son mari petit bourgeois et de leurs idéaux, certes antithétiques, mais réunis pourtant par leur vanité. La caricature est efficace, les personnages bien trempés, et la comédie fait souvent mouche, par un sens de l’hyperbole assez délicieux, qu’il s’agisse d’un plateau de prises de vues d’un roman-photo délirant impliquant chameaux et figurants, ou d’une déposition presque kafkaïenne dans un commissariat.
Durant ces 24 heures, l’imaginaire (idéal pour l’une, cauchemardesque pour l’autre) prend ses quartiers, et contamine aussi les tableaux visuels : la première apparition du Cheik sur sa balançoire est un ravissement hautement annonciateur de toutes les lévitations felliniennes à venir, et la ville un terrain propice à l’émergence du spectacle. On voit d’ailleurs apparaitre la prostituée Cabiria qui aura bientôt droit son propre film, et qui fait de la nuit une scène circassienne auprès d’un ivrogne cracheur de feu.
Le périple noctambule qu’on retrouvera dans La Dolce Vita ou Les nuits de Cabiria a ceci de réjouissant qu’il ne s’appesantit jamais d’un discours trop surligné, et permet au spectateur de considérer les personnages avec une réelle tendresse.
Ainsi de la désastreuse tentative de suicide de Wanda, qui n’atteint pas le romanesque qui la fait vibrer, ou de la modeste réconciliation des mariés avant de rentrer dans le rang pour aller voir le souverain pontife : contrairement aux Vitelloni ou aux Bidone dans lequel le portrait se fait incisif, l’empathie l’emporte sur le vitriol.
« La vrai vie est dans le rêve, mais le rêve est aussi un abyme fatal » : cette découverte comme une nouvelle ouverture des yeux se sera faite au prix d’une cavalcade drôle, poétique et insolite.
Charmant programme que celui proposé par un futur visionnaire du septième art : devenir un peu plus sage après avoir insufflé un grain de folie dans son quotidien
(8.5/10)
https://www.senscritique.com/liste/Cycle_Fellini/1804365