Je ne sais pas comment parler du goût des films de Schanelec (Music et Le chemin rêvé), de la façon dont leur histoire est contingente, de la compréhension qu'elle donne de la solitude et de l'intériorité de chacun (sans pour autant qu'on y ait accès), et du sentiment de grandeur et de beauté dans les gestes d'habitude que j'ai après visionnage (se laver les mains, boire un verre d'eau, poser un livre sur une table, marcher dans l'habituel couloir). Je voudrais voir d'autres choses qu'elle a faites. Et parler de ses films avec d'autres gens qui les ont vus, pour essayer de démêler le ressenti étrange qu'ils produisent et identifier l'intention qu'il peut y avoir derrière (je manque de connaissances d'analyse théoriques et techniques).

On lui demande : "Pourquoi ce choix de couleurs, pourquoi chaque personnage n'a qu'une seule tenue". Elle répond qu'il ne faut pas mettre de signification derrière chaque chose. C'est ça aussi, il y a des motifs récurrents mais qui ne semblent rien indiquer de particulier, on ne comprend pas qu'ils voudraient dire. Cette "neutralité" reste créatrice. Ce n'est pas du tout la même chose mais ça me fait penser à ce qu'Antonin Artaud disait de La Coquille et le Clergyman, qu'il y avait comme des images pures, sans sens, et que cela même était le surréalisme - l'image comme la définissait Reverdy cité par Breton dans le Manifeste. Ici il n'y a pas création d'un effet surréaliste, non plus d'un sens, mais d'un goût, d'une conscience. Dire ces moments où nous allons seuls dans une ville poisseuse de l'humidité après la pluie. L'eau transparente et belle (on l'avait oublié) qui coule du robinet sur les mains ou dans le verre. Le laconisme à la Bresson laisse entrevoir et/ou inventer les possibilités de chaque personnage (une ouverture).

Ce n'est pas profond, riche et âpre comme Melancholia de Lars von Trier et bien d'autres films (éternels liens qui se tissent chez moi entre des films vus la même période, même si on ne penserait jamais à les mentionner conjointement...).

Il me semble que c'est... un cube, un cube creux, qui semble lisse, froid, avec quelques arêtes bien visibles quoique difficile à différencier. L'extérieur du cube, ce seraient les liens toujours assez flous entre les personnages, l'histoire et la photographie minimalistes. Et à l'intérieur du cube, une multitude de connexions, de liens, à la fois des personnages entre eux (à l'intérieur du film donc), qui relient les arêtes depuis l'intérieur, et à la fois des personnages et du film en ce qu'ils peuvent exprimer de "vues sur la vie", pas comme dogme mais comme ressenti ; nous faire voir ce que nous vivons à certains moments, mais sans ce que ce soit extériorisé (ce n'est pas un film qui "montrerait" extérieurement quelque chose, pas un film social). Cela semble indicible, impensable, et pourtant il y a mise en relief, prise de conscience (donc effet). L'intérieur du cube est un bouillonnement de relations multiples entre le film en lui-même et ce qu'il atteint d'extérieur à lui, sans pour autant que nous soyions dans un dualisme film/vie. Les choses sont beaucoup plus mêlées et difficiles à penser, et en cela riche. On peut visualiser des lignes, partant des arêtes internes, qui se lanceraient d'une face du cube vers une autre face, et qui se mêleraient en chemin à d'autres lignes, venues d'autres arêtes ou bien nées du milieu du cube, si bien que les lignes initiales n'atteindraient peut-être jamais l'arête opposée, mais que serait apparues, de façon encore meilleure, une compréhension et une épaisseur supplémentaire à l'intérieur du cube. Ce dernier n'existerait certes pas sans ses arêtes, sans la matérialité du film, mais pas non plus sans son intérieur "dans l'extérieur" bouillonnant de liens, d'atmosphères, d'imagination, de vie, d'échos personnels ; ou alors il ne serait pas cube.

L'image de ce cube me vient sans doute de mon imprégnation épisodique, légère mais peut-être grave, depuis trois mois, par des discussions entre amis et un début de lecture, dans la pensée de Deleuze et Guattari, dont les concepts me semblent mettre des mots derrière des ressentis importants et relativement indicibles. Je ne connais pas du tout assez mais il me semble que, peut-être, les concepts de ligne, multiplicité, (dé)territorialisation, agencement, chaosmos pourraient être utiles à ce que je tente avec difficulté d'exprimer. Après tout je n'en sais rien. Ces choses vagabondent pour le moment au loin, mais à portée de mon regard.


Note : le ton de ces "écritures libres" ne me convient pas vraiment, il est trop tortueux, verbeux peut-être, et de même trop pauvre, mais je n'arrive pas encore à exprimer autrement mon ressenti alors, du moins, j'écris.

Créée

le 29 juil. 2023

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