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J'ai trouvé de multiples points de contacts, références, avec d'autres œuvres littéraires et cinématographiques. L'hôtel perdu dans la montagne du début de La sœur de Sandor Marai. Les rivalités de Mont-Oriol (Maupassant), et l'amour tombé du ciel. L'influence maléfique de la mine comme chez Hermann Broch (Le Tentateur). Le double savant et Jekyll & Hyde (Stevenson). Les enfants m'ont fait penser aux personnages du Ruban blanc de Haneke, ou c'est peut-être la photographie. Les travellings lents et la musique d'orgue dans l'intérieur de l'hôtel, comme dans L'Année dernière à Marienbad. Les plans de visage à la Murnau dans L'Aurore. Quelque chose esthétiquement qui se rapproche d'Europa de Lars von Trier, aussi. J'ai lu quelque part qu'il y avait des références aux films noirs, mais je ne connais pas assez les films noirs pour savoir. Il y a aussi la présence par allusions au passé nazi de l'Autriche et de l'Allemagne, et les effondrements de tunnels qui amènent le souvenir des milliers de personnes enterrées sous les décombres des bombardements aériens.

Le mystère est sans doute l'entreprise la mieux menée du film. Il penche vers le fantastique, même si ce n'est pas tout à fait évident. Les plans larges de montagnes sont magnifiques, avec un beau noir et blanc, et les plans d'échelles et tunnels n'étaient pas du tout ennuyeux voire même très beaux. J'ai aimé le fait que la musique (orchestre) soit présente tout au long du film. La lumière enfin est très bien faite, avec des jeux d'ombres esthétiques, et qui renforce le mystère sans que cela paraisse trop plastique et surfait (cela reste suggestif). Splendide scène acméique sous la montagne, avec des effets visuels très intéressants. Visuellement, c'est beau, et l'image contribue au mystère (ah ces splendides nuages d'orage extra-terrestres).

Cependant, la part mystérieuse d'Universal Theory est aussi son point faible : c'est bâti comme un roman mais cela ne donne que des pistes inexplorées. J'aurais préféré que certaines choses soient exploitées plutôt que d'autres, étant donné que le film ne peut pas tout faire (une femme au activités mystérieuses et qui sait le futur ? des meurtres inexpliqués ? la rivalité des physiciens ? le maléfice de l'ancienne mine d'uranium ? un Jekyll et Hyde ?...). La conception du monde exposée dans l'émission de télévision introductive (très bonne) peut suggérer que toutes ces trames possibles coexistent, et que le spectateur comprendra l'idée de mondes pluriels que la plupart du temps nous ignorons. Cependant, on ne ressent pas vraiment cela (tout au plus peut-on penser que c'était le projet initial), et c'est ce qui fait que le film paraît imparfait malgré sa prestance certaine. Ce n'est pas qu'il ne faudrait qu'une seule histoire, c'est que toutes celles-ci sont un peu trop brouillonnes. Et le projet presque philosophique de donner à voir une autre conception du monde, plus plurielle, n'est pas poursuivi. Personnellement j'aurais aimé que soit plus exploitée l'idée de l'influence malfaisante de la mine d'uranium, exposée rapidement à la toute fin par Johannes dans sa thèse mais sortie de nulle part puisqu'on n'en avait pas entendu parler avant. Aussi, le film a une tendance agaçante au mélodrame. Dans la musique, tout d'abord, qui parfois se fait trop explicite (petite musique douce quand Karen est là par exemple). Dans l'histoire d'amour, ensuite. On voit qu'elle obsède le narrateur mais comme une donnée de facto, et nous ne le ressentons pas vraiment. Les acteurs semblent assez froids, distants. L'histoire d'amour apparaît bien creuse. Enfin, j'ai trouvé certaines parties assez clichées (c'était dommage d'avoir cette photographie magnifique et ces dialogues ou tons peu intéressants), comme des passages obligés (le départ du village un peu surjoué, le voyage en train, les personnages aigris ou lourds, la façon très ennuyeuse dont l'histoire d'amour est montrée...). Cela fait faux et "petit" alors que l'atmosphères des plans de la montagne, par exemple, emmène le film sur un terrain beaucoup plus grandiose.

Je dois dire une dernière chose de la fin, en voix off, bien faite, qui interroge le rapport douloureux entre le souvenir personnel et le monde qui continue son cours, avec un homme qui ne parvient pas à oublier cette année 1962. C'est incroyablement triste. Je crois que j'aurais préféré rester dans le fantastique certes chaotique des 70 minutes précédant. Car cette partie fait tendre le film vers quelque chose d'existentiel, certes, mais qui ne dit rien de vraiment profond et se contente de dire que "la vie est infiniment triste car nous vivons avec le souvenir de choses et gens que nous ne pouvons dire et qui nous obsèdent" - et cela, nous ne le savons que trop bien. C'est fait de façon trop mélodramatique (il n'est pas cru - de la même façon que lui n'avait pas cru les enfants, se reclus, vit avec sa vieille mère, meurt tout seul - est brisé par cette histoire somme toute). Et m'a fait sortir de la salle avec une petite tristesse rance.

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le 5 mars 2024

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