Mystique et terrien
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le 11 mai 2017
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Alors que les tambours funèbres de la cantate "Santa Maria de Iquique" (1969) et les voix vigoureuses du groupe chilien Quilapayun résonnent encore à nos oreilles, Christopher Murray signe aujourd'hui un film âpre et fascinant, qui accompagne le périple de plus de cent kilomètres, entrepris à pied par Michael, jeune homme qui habite à La Tirana avec son père et vit une intense identification christique depuis la mort de sa mère, alors qu'il était encore enfant. Apprenant le grave handicap accidentel qui a frappé Mauricio, l'ami d'enfance qui, à sa demande, lui a infligé les stigmates christiques qu'il porte aux mains, Michael, décide de quitter sa ville natale pour monter vers le nord du Chili, visant d'abord Tarapaca, dans les hauteurs andines, puis bifurquant vers l'ouest et la ville de Pisagua, qui lui fera aborder le rivage pacifique, lorsqu'il apprend que Mauricio s'est réfugié là, suite à son accident. Son projet : réaliser un miracle et guérir la jambe de son ami.
Les drames, l'exploitation humaine à laquelle les mines - entre autres de salpêtre - ont donné lieu, les révoltes ouvrières sauvagement matées et dont l'école de Santa Maria de Iquique fut l'un des sinistres exemples, en 1907, sont présents en ombre et le parcours géographique effectué contourne d'ailleurs par l'est Iquique, partant légèrement au sud, dans les terres, et montant largement au nord, non loin de la frontière péruvienne.
Le film procède en suivant la chronologie de ce voyage, mais des retours en arrière réguliers sont occasionnés par les rencontres du chemin et les paraboles, volontiers autobiographiques, par lesquelles ce Christ va-nu-pieds répond au questionnement de ses interlocuteurs. Se recompose ainsi, progressivement, un récit plus large que celui de ce seul voyage, récit qui englobe, finalement, toute une vie.
Le personnage principal et unique acteur professionnel du film, Michael Silva, livre un Christ d'une grande beauté sobre, confondant d'intensité et d'intériorité, autant habité par le doute que par la foi, lorsqu'il se retrouve en butte aux nombreuses sollicitations miraculeuses qui lui sont adressées. Les acteurs non professionnels auxquels il se trouve confronté - hommage est d'ailleurs rendu, avant le générique de fin, aux habitants de Tamarugal - achèvent d'ancrer le scénario dans le sol chilien et, lorsque des pleurs éclatent, au récit des douleurs passées, on a soudain le sentiment de quitter le confort de la fiction pour entrer dans la crudité incisive du documentaire. S'impose alors la figure, comme parente, du grand réalisateur chinois Wang Bing qui, comme Christopher Murray, ne craint pas de s'approcher de la réalité la plus pauvre, la moins reluisante, la moins cinématographique aux yeux de beaucoup, pour lui offrir le luxe de la toile blanche des écrans du monde entier. On pense à ses incroyables documentaires, "L'Homme sans nom" (2009), "Les Trois Sœurs du Yunnan" (2012), "A la folie" (2015) ou "Ta'ang, un peuple en exil entre Chine et Birmanie" (2016), pour ne citer que les plus récents ou ceux dont l'univers se rapproche le plus de celui qui est dépeint ici ; même son unique film de fiction, "Le Fossé" (2012), film aussi terrible que nécessaire, qui devrait être vu par tout électeur, dialogue étroitement avec celui qui se découvre ici, par la nudité du cadre, l'éclat impitoyable du paysage minéral, le vent qui règne en maître sur les étendues désertiques et semble faire peu de cas des fragiles obstacles humains qu'il rencontre.
De la Chine au Chili, dans l'un et l'autre films, le preneur de son a eu fort à faire pour recueillir cette donnée naturelle qu'est le vent, étroitement relié, ici, au risque constant du vide laissé par la présence-absence divine. Seules quelques cordes frottées, comme lointaines et archaïques, osent d'ailleurs se mêler, sporadiquement, au souffle du vent chilien.
Mais, par sa discrétion même dans le traitement de questionnements ultimes, "Le Christ aveugle" inscrit dans la conscience de ses spectateurs un sillon profond, imprime le visage des personnages côtoyés, et aide à cerner, avec une clairvoyance que ne menace aucune cécité, ce qui nous fait avancer, nous fait vivre.
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le 7 mai 2017
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