Claude Berri dans les pas de François Truffaut
Même si l'oeuvre de Claude Berri se révèle très irrégulière pendant les années 70 (avec en particulier les très mauvais "Mâle du siècle" et "Sexshop"), il n'en poursuit pas moins son autobiographie de fiction (à peine), commencée avec le gros succès public du Vieil homme et l'enfant (et poursuivie avec Mazel Tov et le Pistonné). Les grosses productions (souvent de qualité) suivront avec la réussite de Claude Berri producteur et parrain du cinéma français.Mais le Cinéma de Papa, réalisé en 1971, est sans doute sa plus belle réussite.
Claude Berri s'inscrit très clairement dans la continuité de François Truffaut (les deux s'appréciaient beaucoup) : les différentes étapes de la vie, de l'enfance à l'âge adulte ( et même bien au-delà si l'on veut inscrire la Débandade dans cette perspective), incarné par un acteur emblématique qui lui ressemble le plus possible (lui-même le plus souvent, Alain Cohen pour les scènes d'enfance, Guy Bedos dans le pistonné), le mélange totalement maîtrisé entre réalisme, ironie, humour, cruauté par instants et immense tendresse (essentielle ici), et même la liaison, abordée ici avec la plus grande légèreté, entre la vie et le cinéma. Le récit diffère cependant de ceux de Truffaut sur un point important - la place accordée à la famille (il est vrai que chez Truffaut elle était pour le moins absente), omniprésente, la famille juive (des artisans fourreurs parisiens), à la fois très inscrite dans sa culture, dans son mileu et totalement libérée dans les faits. Le Cinéma de Papa constitue avant tout un hommage, en apesanteur, au père du héros, interprété, incarné par Yves Robert dont on découvre une fois de plus qu'avant d'être un metteur en scène reconnu il était un comédien immense - ah! l'extraordinaire scène de répétition devant la famille réunie. Dans le film Claude Berri est sans doute tel qu'en lui-même, orgueilleux, obstiné, dépressif à ses heures, mais également très humble, dans le récit de ses multiples échecs (enfant dans ses études, en tant qu'acteur, que producteur, dans ses amours, partout ...) et surtout dans le fait que Claude n'occupe dans le film que le second rôle - à des lieues de ce père à la fois aimant, virulent à l'occasion, colérique, d'une drôlerie infinie, irrésistible qui est le seul héros d'un film dont le titre est assurément parfait.
(Une parenthèse en passant : le seul point faible de film, assez criant, est sans doute Claude Berri acteur. Cela dit, ses tentatives d'acteur toutes rapportées dans le film, toutes catastrophiques (irrésistible la scène où il est tente d'interpréter un résistant français baragouinant l'anglais, plus ou moins traître, "I have an alibi", à la suite de laquelle il est immédiatement viré par le producteur...) constituent précisément un des passages importants du film ... Cela n'avait sans doute pas échappé à Claude Berri ...)
C'est la sincérité totale de cet hommage, aussi drôle qu'émouvant, qui donne au film toute sa légèreté profonde - autour de ce père magnifique. Tous les autres comédiens, familles, amis, associés de circonstances (François Billetdoux, dans le rôle d'un auteur protéiforme, aussi multi-talents que raté) sont à l'unisson.
En état de grâce.