Il était logique que Chaplin fasse du cirque l’univers d’un de ses films, tant le potentiel comique s’inscrit dans les fonctions de ce lieu. Avant même que de gagner le temple du spectacle et du divertissement, le vagabond fait d’ailleurs un détour par un autre endroit emblématique : la foire. Traversant la galerie des miroirs, jouant à l’automate, il rend clairement hommage aux prédécesseurs du jeune art duquel il deviendra le maitre incontesté. Dans le cirque, il dynamite les numéros de prestidigitateur, se fait clown, accessoiriste et funambule. Chaplin sait tout faire, nous le montre, mais surtout, nous donne ici la recette qui fait de son comique un art d’une maitrise totale.
La foire et le cirque sont fondés sur deux atouts : l’illusion et la performance. En mélangeant les deux, Chaplin obtient l’alchimie parfaite. Dans le labyrinthe, il trouve la sortie mais se transforme en automate pour échapper à ceux qui l’y attendent. Au cirque, c’est l’échappée d’une partition trop rigide (les numéros des clowns, loin d’être drôles et figures d’un ordre ancien de la comédie) qui permet de vivifier un spectacle moribond : l’intrusion de la gaffe, l’accessoiriste devenu involontairement le clou/clown du show. Le secret réside ici : ses leçons de comédie sont fondées sur l’idée – factice, bien entendu, car chorégraphiée au millimètre – que le chamboulement des règles et l’irruption de l’imprévu garantissent une authenticité aussi séduisante que vectrice du rire. Soit l’inverse radical du « mécanique plaqué sur le vivant » : le vivant dégrippant le mécanique.
De la même façon, c’est en feignant l’assurance et le courage que le couard se révèle le plus drôle : face au directeur, face à sa fille ou au lion, permettant identification et complicité. Qu’on ajoute à cela un bestiaire fourni (le running gag de l’âne qui le poursuit, les divers animaux qui sortent de la table du magicien ou, évidemment, les singes lors du numéro de funambulisme qui furent d’ailleurs la première idée autour de laquelle Chaplin écrivit tout son scénario) et une idylle contrariée, et le film archétypal de Charlot est posé.
Cette perfection de l’équilibre se retrouve dans un motif qui traverse tout le récit, celui du cercle. La première image est celle d’un cerceau qu’on crève, que la jeune fille rate et dans lequel le père la précipite. La piste circulaire sous le chapiteau, et la machine rotative des clowns sur laquelle il déboule lorsqu’il est poursuivi par la police, poursuivent cette exploration, ainsi que le trou dans la toile par lequel il regarde la femme qu’il aime. Alors que l’intrigue tend à le sédentariser, le vagabond cède sa place au rival amoureux et laisse le cirque gagner sans lui une nouvelle ville. Au sol, un large cercle éphémère témoigne de la présence du chapiteau désormais démonté, et que le protagoniste va quitter vers de nouvelles aventures. Le tour de piste et l’interruption d’une mécanique qui tourne à vide : telle est la géométrie du parcours hors norme d’un des plus grands comiques de l’histoire du 7ème art.
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