Relativement fidèle adaptation du très sensible roman éponyme de Pascal Ruter, littérature dite de jeunesse mais que les adultes dérobent et dévorent volontiers, " Le Cœur en braille", sous ses airs badins, se présente comme un véritable traité des passions. Sur la seconde partie d'une année scolaire, la caméra de Michel Boujenah accompagne, avec juste ce qu'il faut d'empathie et de distance ironique mêlées, le cheminement amoureux d'un petit couple de collégiens, Marie et Victor, réunis dans une même classe : l'attrait lointain, bien évidemment nié face aux copains, les maladroites tentatives d'approche, le branchement finalement effectué sous divers prétextes scolaires, puis l'installation d'une complicité, d'une intimité, les aveux, les crises, les tentatives, souvent infructueuses, de trouver appui ou conseil auprès d'un adulte, les reproches, les bouderies, les explications, et finalement le resserrement du lien. Mais cette montée vers l'acmé du bonheur s'accompagne d'une descente aux enfers, puisque la petite Marie se voit affligée d'une dégénérescence rétinienne qui la mènera, dans un avenir dangereusement proche, à la cécité.


L'intrigue amoureuse va se trouver doublée d'un nouvel enjeu : Marie, musicienne talentueuse, doit passer, fin juin, l'audition qui décidera de la suite de son parcours scolaire. Sa vision se dégradant rapidement, il s'agit de parvenir à masquer l'avancée de cette dégénérescence, afin que la jeune fille ne se retrouve pas placée dans l'institut pour aveugles qui la priverait de cette opportunité. De manière très astucieuse, comme dans le roman source, la narration contourne le naufrage tragique pour s'élever vers plus de légèreté, les situations devenant volontiers comiques, décalées, suscitant l'inventivité aisément loufoque des jeunes héros. À souligner, la présence très charismatique du jeune interprète de Victor, Jean-Stan Dupac, flanqué d'un imposant camarade, placide et brillant aux échecs, qui n'est pas sans évoquer, par ses lâchers sporadiques d'aphorismes adéquats, la figure d'Eric Cantona, tel qu'il apparaissait dans l'irrésistible "Looking for Eric" de Ken Loach.


Les amis, portés par le sentiment amoureux qui anime Victor et fait de lui un petit homme, uniront leurs forces pour venir en aide à la jeune Marie, sur laquelle est porté un regard qui constitue l'une des richesses de l'œuvre. Son handicap n'est pas approché avec la pitié que, d'ailleurs, elle refuse, mais comme la spécificité curieuse qui achève de rendre l'être aimé totalement unique et résolument singulier, infiniment passionnant. Précieuse subversion qui illustre la subtilité du propos et contribue à faire de ce film, avec les autres thèmes plus graves qui s'y trouvent abordés - comme la question du deuil, de son aveu à l'enfance et de son dépassement -, une source abondante et variée de réflexions humanistes, à l'intention de tout être vivant, petit ou grand.

AnneSchneider
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le 29 déc. 2016

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Anne Schneider

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