Ce grand classique de la littérature japonaise, mainte fois adapté au cinéma (par Misumi, Okamoto ou encore Uchida entre autres), est ici porté à l'écran par Inagaki dans un dyptique avec Denjirô Ôkôchi dans le rôle Ryûnosuke Tsukue, un samurai maléfique dont la route croisera les proches de ses victimes : la petite-fille d'un pélerin assassiné sans raison et le frère d'un adversaire tué lors d'un duel officiel pourtant non-violent.


Malheureusement le second film est aujourd'hui perdu et le premier film se conclut sur un excellent mais frustrant cliffhanger alors que l'histoire commence à se mettre en place. Car il faut bien admettre que la structure du film n'est pas toujours aisée à suivre, comme la version Uchida d'ailleurs : trop de personnages, trop de sous-intrigues, beaucoup de ramifications. On devine un certain casse-tête pour adapter la densité d'une longue saga publiée en épisodes (et inachevée par la mort de l'auteur).
On est parfois un peu perdu dans cette construction chorale où toutes les intrigues n'évoluent pas sur le même fil et manquent donc de lien. De plus la mise en scène manque un peu de fluidité comme si certains comédiens s'arrêtaient au milieu de la prise en s’extériorisant du récit et devenait témoin de leur propre destin en se plaçant du côté des spectateurs. Ca semble volontaire puisque le début nous présente un narrateur, un prêtre aveugle, qui nous conduit vers le sommet du col du Grand Bouddha avant de nous confier à un autre guide qui regarde directement la caméra. Plusieurs moments proposent ainsi des pauses assez troublantes comme si on attendait une réaction de la part du public. Ça concerne avant tout des seconds rôles plus légers et humoristiques qui tranchent avec le ton dramatique du récit. Peut-être que le deuxième film aurait approfondi cette idée mais dans l'état, c'est surtout déstabilisant et on cherche la finalité.
Le rythme en pâtit un peu avec ce sentiment flottant dans plusieurs séquences de respiration. Et c'est plutôt dommage avec des personnages intéressants et complexes (même si cette adaptation omet toute connotation sexuelle, Ryûnosuke Tsukue étant également un violeur à la base) et surtout une belle réalisation élégante avec un sens du cadre affirmé, tant dans les extérieurs que les décors citadins ou les intérieurs. Le combat final sous la neige est remarquable même si les chorégraphies ont un peu vieilli, plus théâtral qu'épique, sans amoindrir la tension ou la beauté de la séquence.


Cela dit, la séquence la plus impressionnante n'est peut-être pas due à Inagaki. Deux cinéastes l'ont en effet assisté : Ryohei Arai et surtout Sadao Yamanaka qui aurait réalisé des scènes de combat. J'imagine qu'il est l'auteur du duel au début, lors de la compétition dont le style visuel beaucoup plus moderne tranche avec le reste du film. Les compositions sont plus harmonieuses, la photographie plus lumineuse et les mouvements de caméra très audacieux avec par exemple une répétition de deux travellings avant se rapprochant alternativement des adversaires avant l'assaut qui anticipe les futurs zooms des westerns italiens. Et puis l'idée des voix-off des observateurs chuchotant leur impressions est une idée géniale qui témoigne immédiatement de la crispation autour des techniques anticonformistes du menaçant Ryûnosuke.
Etant donné le statut culte de Yamanaka et le peu de film de ses œuvres ayant survécu (3 films et 2 fragments de quelques secondes), il est curieux que cette participation ne soit pas plus commentée ou évoquée.

anthonyplu
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le 20 oct. 2018

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