Alors qu’on associe désormais le nom de Pablo Larrain au genre biographique, particulièrement des femmes fortes (Jackie en 2017, Spencer en 2021, et Maria (Callas) prévu pour l’année prochaine), celui-ci ne se refuse pas quelques détours insolites dans une filmographie à la publication foisonnante. Le Comte renoue d’une certaine façon avec ses débuts, où le cinéaste abordait la manière dont Pinochet a souillé l’histoire de son pays : s’y adjoint néanmoins une fantaisie étrange, puisqu’il intègre le sujet au sein d’un film de genre, représentant le dictateur comme un vampire aujourd’hui âgé de 250 ans, vivant reclus au sein d’une maison perdue dans la brume qui n’est pas sans rappeler le décor d’El Club, sorti en 2015.
La singulière fusion entre plusieurs genres donne naissance à une créature hybride, où la thématique du vampire côtoie un certain humour noir, mais ne cesse, simultanément, de réveiller les traumas de l’Histoire. Le spectateur est donc invité à une certaine ouverture d’esprit face à un apologue qui ne délivrera pas nécessairement toutes ses clés de lecture, et qui semble parfois ne pas savoir choisir privilégier une tonalité par rapport à l’autre. Le noir et blanc, superbement photographié par le vénérable Edward Lachman, convoque dès le départ une esthétique en écho à l’imagerie traditionnelle de Nosferatu, avant de l’instiller dans la ville contemporaine par de très belles séquences de vol du vampire en chasse. L’attention portée aux visages creuse les rides des protagonistes qui refusent de quitter la scène, et offre, en contrepoint la fraîcheur presque inquiétante de la jeunesse féminine en la personne d’une nonne missionnée pour mettre un terme au règne du despote.
Larrain prend néanmoins soin de brouiller les pistes, et de ne laisser l’Histoire qu’en arrière-plan : le drame se resserre ici surtout sur une famille, les enfants accourant avidement au chevet du père pour le dépouiller de ses biens. L’étrange présence d’une voix off en anglais laisse aussi planer un mystère qui trouvera une explication dans un rebondissement aussi loufoque que limpide sur la leçon désabusée de géopolitique sur la complicité du monde occidental avec le dictateur. Il en ira de même pour l’antagoniste, une Eglise qui cherche avant tout à s’accaparer une part du trésor caché dont on l’avait privé en son temps. La figure du vampire permet surtout d’établir la pérennité du mal et sa capacité à prospérer à travers les siècles, ainsi que la docilité avec laquelle les victimes s’offrent à lui, ou tendent à oublier leurs souffrances par le déni et le refoulement.
La fable est caustique, sanglante parfois, et la dernière partie se construit sur un crescendo assez intense (la séquence de vol et le tabula rasa général), même si le réalisateur aurait pu s’abstenir de convoquer encore une fois la musique d’Arvo Pärt, dont il avait déjà abusé par le passé. La restriction spatiale et familiale imposée à sa fable infuse cependant l’ensemble du propos, qui semble se limiter à sa portée symbolique et n’offre que des échos assez lointains avec le réel sur lequel il devise.
(6.5/10)