Le Comte
6
Le Comte

Film de Pablo Larraín (2023)

Voir le film

Alors qu’on associe désormais le nom de Pablo Larrain au genre biographique, particulièrement des femmes fortes (Jackie en 2017, Spencer en 2021, et Maria (Callas) prévu pour l’année prochaine), celui-ci ne se refuse pas quelques détours insolites dans une filmographie à la publication foisonnante. Le Comte renoue d’une certaine façon avec ses débuts, où le cinéaste abordait la manière dont Pinochet a souillé l’histoire de son pays : s’y adjoint néanmoins une fantaisie étrange, puisqu’il intègre le sujet au sein d’un film de genre, représentant le dictateur comme un vampire aujourd’hui âgé de 250 ans, vivant reclus au sein d’une maison perdue dans la brume qui n’est pas sans rappeler le décor d’El Club, sorti en 2015.


La singulière fusion entre plusieurs genres donne naissance à une créature hybride, où la thématique du vampire côtoie un certain humour noir, mais ne cesse, simultanément, de réveiller les traumas de l’Histoire. Le spectateur est donc invité à une certaine ouverture d’esprit face à un apologue qui ne délivrera pas nécessairement toutes ses clés de lecture, et qui semble parfois ne pas savoir choisir privilégier une tonalité par rapport à l’autre. Le noir et blanc, superbement photographié par le vénérable Edward Lachman, convoque dès le départ une esthétique en écho à l’imagerie traditionnelle de Nosferatu, avant de l’instiller dans la ville contemporaine par de très belles séquences de vol du vampire en chasse. L’attention portée aux visages creuse les rides des protagonistes qui refusent de quitter la scène, et offre, en contrepoint la fraîcheur presque inquiétante de la jeunesse féminine en la personne d’une nonne missionnée pour mettre un terme au règne du despote.


Larrain prend néanmoins soin de brouiller les pistes, et de ne laisser l’Histoire qu’en arrière-plan : le drame se resserre ici surtout sur une famille, les enfants accourant avidement au chevet du père pour le dépouiller de ses biens. L’étrange présence d’une voix off en anglais laisse aussi planer un mystère qui trouvera une explication dans un rebondissement aussi loufoque que limpide sur la leçon désabusée de géopolitique sur la complicité du monde occidental avec le dictateur. Il en ira de même pour l’antagoniste, une Eglise qui cherche avant tout à s’accaparer une part du trésor caché dont on l’avait privé en son temps. La figure du vampire permet surtout d’établir la pérennité du mal et sa capacité à prospérer à travers les siècles, ainsi que la docilité avec laquelle les victimes s’offrent à lui, ou tendent à oublier leurs souffrances par le déni et le refoulement.


La fable est caustique, sanglante parfois, et la dernière partie se construit sur un crescendo assez intense (la séquence de vol et le tabula rasa général), même si le réalisateur aurait pu s’abstenir de convoquer encore une fois la musique d’Arvo Pärt, dont il avait déjà abusé par le passé. La restriction spatiale et familiale imposée à sa fable infuse cependant l’ensemble du propos, qui semble se limiter à sa portée symbolique et n’offre que des échos assez lointains avec le réel sur lequel il devise.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Créée

le 16 sept. 2023

Critique lue 1.1K fois

19 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

19
2

D'autres avis sur Le Comte

Le Comte
Plume231
5

Chili con(de) carne !

Imaginez que l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet soit en fait un vampire de 250 ans, originaire de France, ancien soldat de Louis XVI, ayant traversé l'Atlantique, s'étant fait passer pour...

le 19 sept. 2023

17 j'aime

5

Le Comte
AMCHI
6

Le vampire des Andes

Les homme font des discours mais les femmes agissent.Pablo Larrain s'est fait une spécialité des biopics maniérés souvent soigneusement photographiés mais assez creux narrativement parlant.Le Comte...

le 15 sept. 2023

7 j'aime

10

Le Comte
dosvel
4

Pinochet, Vampire à La Retraite

Avec 𝐸𝑙 𝐶𝑜𝑛𝑑𝑒, Pablo Larraín propose une relecture fantasmagorique d'Augusto Pinochet, transformé en vampire immortel, dans une œuvre qui semble davantage préoccupée par l'esthétique que par...

le 20 sept. 2024

5 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

773 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53