Durant les années 1970 l'orchestre du Bolchoï peut se targuer d'être la meilleure formation d'Union Soviétiques ainsi que l'un des meilleurs orchestre du monde. A la baguette, le maestro Andreï Filipov ne ménageait pas sa peine et son talent pour mener à bout de bras des musiciens d'exception dont certains avaient le malheur, dans ce pays totalitaire, d'être juifs. Le maestro, considérant que la musique est universelle, se retrouve sous pression lorsque les hautes instances communistes lui demandent de se séparer de ses musiciens juifs, dont Sacha, son grand ami. Andreï Filipov s'oppose énergiquement à cette idée répugnante. Mal lui en prend car, en plein concert, un membre du Kremlin monte sur la scène et lui casse sa baguette en lui signifiant qu'il est un "traître à la Nation". L'un des plus grand maestro du monde continuera pourtant à travailler au Bolchoï mais comme homme de ménage et ne goûtera la musique que de très loin, lors des répétitions de l'orchestre. Au bout d'une trentaine d'années passées à exercer cette fonction, il tombe par hasard sur un fax adressé au directeur du Bolchoï par le patron du théâtre du Châtelet de Paris afin que le célèbre orchestre vienne y donner un concert. Une idée absolument folle va alors surgir dans la tête de l'ancien maestro: réunir ses anciens amis musiciens afin de les emmener à Paris en se présentant comme le véritable orchestre du Bolchoï. Une belle revanche sur l'injustice est à portée de main de tout ce petit monde tout excité à l'idée de se retrouver à Paris...
Lorsqu'en plein concert, lors de l'interprétation du "Concerto pour violon et orchestre en ré majeur" de Tchaïkovski, une sommité du Kremlin monte sur la scène et casse en deux, devant un public médusé, la baguette d'Andreï Filipov, l'humiliation fait place à la gloire. Mais trente ans plus tard, un simple fax venu tout droit du Théâtre du Châtelet à Paris va lui permettre d'obtenir sa vengeance et l'objectif qu'il garde alors au plus profond de lui-même: "l'ultime harmonie". En compagnie de son pote musicien d'autrefois, devenu ambulancier, il bat le rappel. Tous ces musiciens exclus qui vaquaient à d'autres occupations bien modestes vont ainsi reformer un orchestre parallèle à celui du Bolchoï et se faire passer pour celui-ci vis à vis du régisseur du Châtelet dont l'établissement traverse une très mauvaise période financière. Andreï Filipov n'a pas oublié le concerto qui était exécuté ce terrible soir ni bien sûr la violoniste maintenant décédée qui exécutait divinement cette oeuvre. Le musicien a alors deux exigences formelles: que ce soit le même morceau qui soit programmé et que l'oeuvre soit interprétée par la violoniste star du moment, Anne-Marie Jacquet. L'artiste est d'abord fière d'évoluer en compagnie d'un chef à la tête d'un orchestre aussi réputé, même si Andreï Filipov n'a pas repris la baguette depuis trente ans. Mais à la vue de la formation de bras cassés, le doute s'installe dans sa tête. Pendant que les musiciens s'éparpillent dans Paris pour profiter avec fracas de la vie de la capitale, les négociations se sont rompues entre Andreï et Anne-Marie. Heureusement, un détail pourrait tout changer: la jeune violoniste pourrait lors de ce concert recevoir une révélation sur son passé et ses origines qui lui sont inconnues. C'est dans ce climat que le concerto sera exécuté et qu'au cours de celui-ci, le grand maestro pourra enfin atteindre son idéal musical: "l'ultime harmonie". Anne-Marie Jacquet recevra par le biais de ce poignant concerto la révélation promise. Parallèlement, dans une autre salle parisienne se déroule ce qui devrait être un grand meeting communiste: une cinquantaine de militants écoutant religieusement les discours enflammés de leurs dirigeants prônant l'avènement d'une société plus juste. Le Châtelet, lui, est comble de quoi envisager quelques concerts supplémentaires, au grand dam du réel directeur du Bolchoï, en vacances au même moment dans la capitale...
En 2005, Radu Mihaïleanu nous avait gratifié d'un film remarquable: "Va, vis et deviens" qui traitait de sujets graves tels que le déracinement, le racisme, le choc des cultures sous fond de conflit israélo-palestinien. Cette fois le réalisateur change de cap pour nous faire vivre les conséquences pour certaines communautés, de la politique totalitaire menée au sein la défunte Union Soviétique par les dirigeants communistes, en l'occurrence ici sous Brejnev. Je dois avouer que pour être intéressé par un tel sujet, je suis séduit par la manière dont le réalisateur a traité cette histoire aussi grave que rocambolesque. En fait Radu Mihaïleanu a construit une oeuvre en trois actes. Dans le premier, il lance l'intrigue de manière brutale en dénonçant par cette baguette cassée en deux toutes les affres d'un pouvoir aux méthodes répugnantes et n'ayant aucun rapport avec l'idéologie qu'il est censé représenter. C'est ainsi que nous allons assister à la mise en place de cette revanche avec les démêlés du maestro face à l'administration du Châtelet, puis au rassemblement de ces anciens musiciens et enfin au départ rocambolesque de tout ce petit monde vers Paris. Le second acte s'ouvre sur la délivrance du groupe puis sur son euphorie de se retrouver dans la capitale chatoyante d'un pays libre. Ceci est traité avec un humour délicieux, les gags et les quiproquos s'enchaînant rapidement. Pendant ce temps, nous sommes face aux incertitudes de la violoniste quant à sa participation à ce concert à la vue du peu de professionnalisme et de la désinvolture des membres de l'orchestre, puis à l'énigme qui la poussera à tenter de jouer. Dans le troisième acte, véritable bouquet final, le réalisateur va profiter de ce ""Concerto pour violon et orchestre en ré majeur" de Tchaïkovski, pour nous faire vivre par leurs visages et leurs attitudes, toutes les émotions, toutes les pensées, tout ce retour sur le passé qui traversent dans ce moment grandiose l'esprit de la violoniste et du maestro. Les musiciens se donnent corps et âme à ce concerto. Il est difficile de dissocier les acteurs de ce films tant ils évoluent avec un enthousiasme hors du commun. Aleksei Guskov est absolument divin dans son rôle de maestro passant de l'humiliation à l'espoir et à la gloire retrouvée. Mélanie Laurent et son violon magique nous enchantent et la scène finale dans laquelle elle entretient une complicité sans faille avec Andreï Filipov en exécutant ce magnifique concerto est un grand moment d'anthologie. Dimitry Nazarov campe fort bien ce gros nounours de Sacha, l'ami fidèle d'Andreï, reconverti en ambulancier. Comme souvent François Berléand se montre intransigeant et irascible en administrateur d'un théâtre sous le coup de difficultés financières. Miou-Miou nous offre également une prestation pleine de justesse dans son rôle ambigu de confidente et de secrétaire d'Anne-Marie.
Voici un grand moment de cinéma offert par Radu Mihaïleanu. Il nous arrive de rire aux démêlés de ces musiciens "lâchés" dans la capitale. Il nous arrive d'être révoltés en assistant et en pensant aux humiliations que ce pouvoir leur fit subir et enfin, il nous arrive d'être émus à l'extrême par la beauté de cette musique et par "l'ultime harmonie*" qu'elle suscite parmi tous les exécutants et le public.