Inédit en DVD en France, Le Conformiste, avec un grand Jean-Louis Trintignant, a enfin droit à une sortie en version intégrale dans nos contrées, de plus dans une jolie édition Blu-Ray. L'occasion de déguster le premier chef d'œuvre international de Bernardo Bertolucci, qui annonce ses autres réussites, magnifié par la sublime photographie de Vittorio Storaro.
« Un chef d'œuvre. Certainement le plus beau film auquel j'ai participé. » C'est par ses mots que Jean-Louis Trintignant évoque Le Conformiste dans lequel il est magistral comme tous ses collègues d'ailleurs. Car l'une des grandes forces du sixième film de Bernardo Bertolucci repose sur sa direction artistique qui culmine à une véritable convergence des talents. Les costumes d'époque confectionnés par Gitt Magrini (Peau d'âne) sont remarquables, la musique de Georges Delerue enivrante et la photographie de Vittorio Storaro tout simplement virtuose.
Le directeur de la photographie, qui reçut plus tard trois oscars (Apocalypse Now, Reds et Le Dernier Empereur), sublime la réalisation de Bertolucci avec lequel il collabora sur neuf films. Avec ses chromatiques bleu lors des séquences parisiennes ou au contraires les jeux d'ombre et lumière lors des passages romains, Storaro imprime une ambiance quasi-surréaliste et son influence sur le film est telle qu'on pourrait le citer comme coréalisateur !
Si Bertolucci s'avère être un véritable Maestro à la réalisation, il faut dire qu'il a été bien aidé par son assistant Aldo Lado futur réalisateur de Je suis vivant ou du Dernier train de la nuit. Ce dernier lui a ainsi inspiré l'une des plus belles scènes du film, la séance de bal à Joinville qui vire au tango sulfureux avec les magnifiques Stefania Sandrelli et Dominique Sanda face à un Trintignant médusé et emporté par la farandole. Plus généralement, la caméra de Bertolucci cerne à merveille Paris, comme l'ancienne gare d'orsay ou la passerelle de Pantin, que l'on retrouve dans son film suivant, Le Dernier Tango à Paris.
Bertolucci signe aussi lui-même le scénario, inspiré du livre de Alberto Moravia, l'un des plus grands romanciers italiens du 20ème siècle dont l'œuvre inspira de très nombreux films comme Le mépris de Jean-Luc Godard ou La ciocaria de Vittorio de Sica.
L'HOMME QUI VOULAIT ÊTRE NORMAL
Si la virtuosité de la réalisation, lancinante et ponctuée de flash-backs, est sans conteste le point fort du conformiste, le fond de l'œuvre n'est pas à négliger pour autant. On pourra certes trouver tirées par les cheveux les théories psychanalystes, couplées au Mythe de la caverne de Platon, expliquant le besoin de normalité du personnage joué par Trintignant. Toutefois, l'analyse politique du cinéaste italien fait froid dans le dos, surtout à l'heure où l'extrême droite partout dans le monde semble ne jamais s'être aussi bien portée qu'en ce moment. En effet, si Marcello veut être fasciste et « rendre service » à son gouvernement c'est par pur conformisme, car être normal dans un Etat fasciste... c'est être fasciste...
« Chacun cherche à se différencier des autres alors que toi tu veux ressembler à tout le monde. » lui lancera d'ailleurs un ami. Endeuillé par la mort de sa seconde fille survenue durant le tournage, la prestation de Trintignant est très impressionnante de gravité et d'ambivalence. Comme le montrera la fin, ce monstre à visage humain, lâche et inconséquent finira par retourner sa veste comme nombre de criminels à l'orée de la fin de la guerre. Et ironie mordante, il sortira le soir de le destitution de Mussolini « voir comment une dictature meurt. »...
Il convient aussi de signaler l'éclatante présence du duo féminin incarné par Sandrelli et Sanda. L'une petite bourgeoise fasciste écervelée, l'autre érudite et engagée finiront pourtant par s'entendre, leur relation amoureuse et sexuelle étant explicitement évoquée. Ces deux actrices joueront cinq ans plus tard, en invertissant leurs rôles, dans 1900 du même Bertolucci, qui traite aussi de la montée du fascisme mais de manière plus historique.
Le Conformiste s'impose donc comme une référence dans la filmographie de son auteur, où on retrouve cette même sensualité exacerbée ainsi qu'une vision crue de l'Histoire. Trop longtemps resté inédit en France, on ne peut que saluer l'initiative de Colored Films de ressortir ce chef d'œuvre qui permet un fois encore de se rendre compte de l'incommensurable talent de ses protagonistes, Jean-Louis Trintignant et Vittorio Storaro en tête.
( Retrouvez l'évaluation de la partie technique de l'édition Blu Ray-dvd de ESC par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6911 )