かぐや姫
Isao Takahata réalise avec Kaguya-hime no monogatari une merveille visuelle. S'appuyant sur le meilleur des techniques d'animation dernier cri, son équipe accouche d'un défilé époustouflant d'images...
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le 16 juil. 2014
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Kaguya-hime est le plus ancien texte narratif japonais, daté du Xème siècle et issu d’un conte tibétain qui aurait trouvé sa voie à travers la Chine jusqu’à l’archipel avant de s’ancrer profondément dans le folklore. Un nom familier pour qui a déjà voyagé dans des univers nippons, pour ma part dans mon adolescence dans Naruto ou mes aventures poétiques en compagnie d’Amaterasu dans Ōkami. Il était donc logique que le studio Ghibli s’y attaque un jour, et quel plus bel adieu que ce film pour Isao Takahata, qui déjà y faisait référence à travers la naissance de la fille de La Famille Yamada. Une œuvre somptueuse qui n’omet aucun détail de l’histoire originelle, si ce n’est un épilogue propre au Pays du Soleil Levant qui forge la légende du Mont Fuji.
Adieu l’animation plus classique d’un Tombeau des Lucioles, bonjour les délicates esquisses sur fonds en aquarelle. Une approche qui renvoie aux dessins traditionnels tout en souscrivant à la philosophie du design par soustraction que l’on retrouve dans la ludographie de Fumito Ueda (Shadow of the Colossus, Ico, The Last Guardian). Gommer le superflu pour souligner ce qui doit l’être, créer de l’emphase par l’épure. Un choix qui viendra appuyer avec grâce les thématiques abordées, comme nous le verrons par la suite.
Car des thématiques, qui plus est toujours d’actualité après plus d’un millénaire, Le Conte de la Princesse Kaguya en déborde et les traite intelligemment. Son parti pris féministe par exemple, avec une héroïne qui refuse le diktat des rôles attribués par une société patriarcale qui résume le bonheur d’une femme au statut social de son mari. Un culte du paraître qui figure des princes transis par la beauté d’une femme sur laquelle ils n’ont jamais posé les yeux, nourri par des ouï-dires, princes qui n’ont pour intention finale que d’ajouter un bibelot de plus sur l’étagère de leur vanité. Un bibelot qui se doit d’être maquillé pour cacher le naturel, dont les sourcils doivent être rasés contre toute logique pragmatique. La beauté est un concept tourné en absurde au vu de sa vacuité face à l’importance de l’âme. L’engoncement de la princesse dans une camisole de tissus à motifs mène d’ailleurs à l’une des plus belles scène du film, celle d’une fuite effrénée de la cité où s’envolent ces oripeaux mortifères dans un effeuillage fantastique, où les barreaux de sa prison jonchent sa trace le temps d’un instant, dans un tourbillon de couleurs. L’animation vient alors retranscrire la tourmente interne de Kaguya, les traits se brouillant dans ses sommet émotionnels, ses yeux perdant de leur éclat à mesure qu’elle réalise la place qu’on lui réserve, les jeux d’échelles écrasant la femme que l’on cherche à dominer. Elle est Pousse de Bambou, et non pas Kaguya, et elle entend vivre comme son cœur le désire, et non selon une étiquette qui la réifie.
Et pour ce faire, Takahata et Kaguya ne voient qu’une issue: se rapprocher de la Nature. Le film en est une ôde. C’est dans la nature qu’elle est née sur Terre, qu’elle y a grandi et rit, qu’elle a créé ses liens les plus forts avec l’humanité. Son inconscient, dernière trace de sa vie céleste dans sa psyché, lui rappelle les paroles d’une comptine qui chante les louanges des cycles naturels, alors que les saisons s’enchaînent en rythmant la vie des paysans. Cela se traduit évidemment à l’image par des aquarelles chatoyantes dès lors que l’on est loin de la prison urbaine de Kaguya, là où les intérieurs sont vides et ternes.
Mais si la princesse a réussi à échapper à la destinée que lui donnaient les mâles de cette planète, elle ne peut échapper à son retour parmi les siens. Ce qui était infligé comme une punition ou un rite de passage à l’âge adulte par les sélènes devient une leçon pour notre chère Kaguya. Malgré tous ses déboires, toutes les privations qu’on lui a fait subir, elle reste positive par rapport à l’humanité, ne serait-ce que par la compréhension émotionnelle qu’elle lui a inculquée. Un sentiment fort ne peut exister sans la connaissance de son opposé, et c’est la palette qui nous est prodiguée qui donne un sens et une valeur à la vie. Pas d’amour sans haine, pas de joie sans tristesse. La même thématique que viendra dérouler Inside Out deux ans plus tard.
En tant que spectateur occidental, je n’ai pas la prétention d’avoir toutes les clés de lecture d’une œuvre qui se pose comme un pilier de la culture japonaise (et cela vaut pour toutes les œuvres en général). Mais comme je l’avais fait pour Pompoko ou Inu-Oh, j’essaye d’appréhender des codes qui sont universaux, et j’appuie mon argumentaire par des recherches sur ce qui me semble pertinent, quitte à ne pas être exhaustif dans mon analyse par crainte de raconter des âneries. Mais dans le cas de ce dernier leg d’un des plus grands cinéastes nippons, la portée commune des messages véhiculés et l’expressivité de l’animation ont fait le travail d’eux-mêmes. Tout juste avais-je à piocher deux-trois informations purement factuelles tant tout coulait de source, le sens comme mon encre.
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Créée
le 31 juil. 2024
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