Ce film est très important pour moi. Avec son compère suivant, La grande vadrouille, il constitue une des nombreuses pierres angulaires qui ont nourri dans mon enfance ma cinéphilie débutante. Le corniaud est un film que j’ai vu 1500 fois, souvent pendant les vacances scolaires d’été. En tout cas, c’est ce que cette 1501ème revoyure m’inspire : Le corniaud, par son périple méditerranéen ensoleillé, fleure bon l’huile d’olive et fait chanter les cigales, un film de soirée d’été qu’on regardait en famille, un film de pur divertissement.


Mais cela ne suffit pas. Il convient d'être plus précis. Il mérite qu’on souligne l’équilibre presque parfait de sa structure, la perfection de sa logique et la fluidité de sa narration. Implacable. Sa trame est somme toute très classique : il s’agit d’un voyage initiatique, très moraliste puisque le corniaud n’est pas forcément celui qu’on lui croit.


Et le spectateur est invité à suivre cette évolution du personnage ponctuée d’épisodes comiques où l’action laisse bien quelques incertitudes, mais pas celle de la lente et sûre dévaluation de la Cadillac convoitée, au fur et à mesure que sa cargaison frauduleuse s’éparpille. Ces incertitudes (le péril qui entoure le destin d’Antoine Maréchal et de la voiture qu’il doit amener à Bordeaux depuis Naples) maintiennent un semblant de tension toujours allégé par le comique des situations et la position de victime qu’est obligé d’endosser Léopold Saroyan (Louis de Funès).


Donc dans la structure même récit, les rôles sont inversés, d’autant que Maréchal ignore longtemps qu’il a été berné. Ce faisant, on profite en tant que spectateur, au même titre que Maréchal admirant la Tour de Pise ou le Colisée du panorama, de ce voyage qui fait rêver, de cette formidable aventure en somme.


Car le film n’est pas juste un film comique. J’insiste sur ce point car c’est sans doute un des éléments essentiels de ce scénario, qui ressemble d’ailleurs beaucoup à ce qui fait également la force du film suivant du duo Bourvil / De Funès, La grande vadrouille. Il faut bien évidemment souligner la qualité des dialogues, ce qui me semble n’est pas toujours fait par ceux qui se penchent sur ce film. Le style est la plupart du temps très élégant. Certes, il y a bien quelques passages très “faciles” (“Y a quelqu’un ? Non, y a personne” ou “Vous m’épelez? Mais vous aussi vous me plait beaucoup”), mais la majeure partie du film est très bien découpée, mise en musique par des échanges percutants et ce, d’entrée, avec un dialogue très fort, inattaquable après l’accident de la deuche par exemple.


Les comédiens secondaires sont assez corrects. Bebe Loncar n’est pas aidée par son accent et son personnage un peu nunuche. Le couple italien (Lando Buzzanca et Alida Chelli) est plutôt dans la caricature avec une italienne qui veut se marier et un italien aussi ombrageux que jaloux. On appréciera les participations brèves d’un Henri Virlojeux cinglant ou d’un Henri Génès dont la jovialité est aussitôt sympathique.


Le comédien le mieux servi me semble-t-il est Venantino Venantini. Son rôle du “Bègue” est succulent. Il sert de mouche du coche aussi bien pour agiter le zébulon De Funès que pour “doubler” Bourvil. Assurance et morgue sont son apanage. Parfait.


Mais si ces satellites assurent leurs petites parts du spectacle, force est de constater que le film est pour l’essentiel bâti sur l’alchimie, qui naît en parallèle ou dans le partage entre les deux acteurs principaux, Louis de Funès et Bourvil.


Étrangement, le tournage ne fut pas des plus apaisés pour Louis de Funès qui craignait d’être englouti dans cette collaboration par le charisme comique de Bourvil. A l’image, au final, le malaise de Louis de Funès ne se distingue jamais, c’est heureux! Il joue son personnage à fond, comme il a toujours fait. D’une justesse à toute épreuve, malgré le ridicule de Saroyan, il est magique, bluffant. Il joue avec un sérieux jamais démenti, une sorte de démesure, d’excès perpétuel, totalement irréel, à tel point que le comique en ressort aussitôt avec une puissance et un naturel auxquels le public ne peut rester insensible. Il est génial, irrésistible.


Face à lui, le débonnaire Bourvil a des dizaines d’années d’expérience, une assurance née d’une longue relation d’amour avec son public. Assis plus confortablement sur une carrière déjà fortement pourvue que son acolyte, Bourvil ne nous sert pas pour autant un personnage moins abouti. Il a sans doute le rôle le plus compliqué, celui d’un naïf, un “trop gentil” qui finit tout de même par lire le réel. Or, il tient ce personnage avec une grande rigueur, pour ne jamais se laisser déborder, ne pas passer pour un benêt notamment,. Il reste sympathique, sans inspirer non plus de la pitié. Voilà un équilibre très difficile à obtenir : il le fait avec une facilité déconcertante. Comme une évidence. Là encore on ne peut qu’être stupéfait par cette aisance.


Et miracle supplémentaire, l’association des deux acteurs fait merveille, tour de magie que Gérard Oury sut produire par deux fois pour notre plus grand plaisir, mille cinq cent et une fois renouvelé.


Quand j’étais marmot, j'avais une toute petite préférence pour La grande vadrouille. Aujourd’hui, j’adore autant l’un que l’autre.


Captures et trombi

Alligator
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le 17 juil. 2018

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Alligator

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