Marqué par l'interprétation tout en rondeur, jovialité et humour de Peter Ustinov, dont la multidiffusion télé de plusieurs films et téléfilms a augmenté la popularité, il m’a toujours été difficile d'accepter l'image si différente de celle que suscite Albert Finney. Non qu’il soit mauvais, qu’il ait opté pour un parti pris irritant dans son jeu, mais il est tout simplement très différent. Et cela a suffi à me rendre son incarnation presque hostile. Certes, son air guindé, amidonné donne à sa stature, à sa gestuelle une rigidité peu commune qui accroche l’oeil, mais pourquoi pas, puisqu’il suit là le portrait qu’en fait Agatha Christie elle même. Certes encore, son français approximatif pue l’arnaque en VO, sonne faux et nous botte le train méchamment pour nous faire sortir du film à quelques reprises, mais les dommages sont finalement minimes en regard de l’intensité de son jeu. Albert Finney est un très grand comédien. Aujourd’hui je suis bien plus capable de faire fi de ce qui m’obstruait la vue plus jeune : il fait un Hercule Poirot sérieux, passionné et fort intelligent dont la malice ne le détourne pas de ses objectifs, ni n’en fait un petit clown. Les deux approches, réaliste et ludique, me semblent aussi différentes que bonnes en fin de compte. On peut apprécier les deux avec raison.


Un autre obstacle retenait mon élan à aimer le film jadis : la photographie. Les années 70 ont par trop abuser de ce dispositif esthétique, cette image baveuse, embrumée, à mi chemin entre l’omelette et le granité, mais dont la légitimité filmique me pose toujours question. Les cinémas du monde entier ont versé dans ce procédé, ont fait baigner leurs histoires dans ce type d’image. Et de nos jours encore, mon impression désastreuse ne se dément pas. A ceci près que pour ce film, je peux comprendre l’idée de filmer ainsi. En effet, le train est bloqué par une coulée de neige sur les rails. Le froid, la claustration de tout ce beau monde dans l’hiver yougoslave peut expliquer la buée de l’image. Vu cette fois lors d’une diffusion télévisée en haute définition, cela passe à peu près.


Finalement, j’ai eu plaisir à revoir ce film. Pas uniquement, ni même essentiellement le plaisir de découvrir, tout surpris, que je pouvais apprécier ce qui m’horripilait auparavant, non, ce qui m’impressionne toujours autant, c’est le casting 5 étoiles. Rien que pour lui, le film vaut le coup d’oeil : beau, puissant, extrêmement talentueux, la galerie de géants me sidère toujours autant.


Celle qui me troue encore plus le popotin est Ingrid Bergman avec un rôle compliqué de femme complexée, un peu folle, dévote et hystérique. Elle tient son personnage avec maestria sans jamais tomber dans l'excès.


J'aime particulièrement Sean Connery dans le rôle de l’officier britannique très à cheval sur l’honneur et dans le même temps très épris de sa fiancée. Je souligne ces deux-là, mais les autres sont très bons, même Anthony Perkins qui nous rejoue Psychose ou Vanessa Redgrave (quelle beauté, nom d’une pipe!) ou bien encore la somptueuse Lauren Bacall avec un rôle plein d’humour, très américaine, ou Jean-Pierre Cassel très sobre, mais touchant, etc.


Même pour quelqu’un comme moi qui connais par coeur cette histoire, la façon dont l'enquête se déroule et la grande parade à laquelle se livre chacun de ces grands comédiens m’ont permis de passer un très agréable moment de cinéma.


Trombi et captures

Alligator
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le 7 mars 2017

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Alligator

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