Alors que sa carrière de réalisateur avait débuté en 1977 avec Les Duellistes, voilà que Ridley Scott, bientôt 84 ans, nous offre Le Dernier Duel. Une nouvelle affaire de rivalité entre hommes, qui va sortir du cadre de la simple chevalerie pour toucher à la société dans son ensemble, et traverser les âges.


Le Dernier Duel débute avec la mise en place du fameux duel mentionné dans le titre du film, opposant Jean de Carrouges et Jacques le Gris le 29 décembre 1386. Le duel prend place dans un hiver froid et rugueux, où la neige tombe dru, faisant baigner le film dans une ambiance bleu-gris qui va régner pendant la majeure partie de ce dernier. Une ambiance que l’on pourrait qualifier de très « médiévale » dans l’image que l’on s’en fait, celle d’âges assez sombres, lointains, un monde de pierres, de métal et de boue. Bien entendu, le duel ne se résoudra pas dès cette introduction, et le film va opérer un flashback qui va se diviser en trois chapitres, chaque chapitre correspondant à un point de vue sur les faits ayant mené à ce duel, émis par les trois protagonistes de l’histoire : Jean de Carrouges, Jacques le Gris et Marguerite de Carrouges.


Le film commence par le point de vue de Jean (Matt Damon), chevalier assez bourru, homme de batailles et de combat, intègre et fidèle à ses principes. Vient ensuite celui de Jacques le Gris (Adam Driver), un autre chevalier, plus cultivé, homme à femmes qui séduit par son charisme et ses connaissances, incarnant une chevalerie plus aristocrate, gagnant ses galons notamment grâce à sa bonne relation avec le comte Pierre II d’Alençon (Ben Affleck). Enfin, celui de Marguerite (Jodie Comer), victime du crime qui mènera au duel, conclut la narration des faits qui y menèrent. Dans un dispositif déjà vu dans le passé (on pense évidemment au grand Rashomon de Kurosawa) mais ici très pertinent, Le Dernier Duel agrémente progressivement son propos au fil de l’intrigue, le nuançant en même temps pour offrir une fable intemporelle sur la quête masculine de pouvoir et l’emprise des hommes sur les femmes.


Il est intéressant de voir, ici à quel point le point de vue que chaque personnage a sur lui-même et sur les autres et différent à chaque fois, redessinant le portrait que nous faisions de chacun d’entre eux tout en l’agrémentant, pour mieux cerner les implications de chacun dans les faits. Jean de Carrouges se voit comme un homme intègre, toujours droit dans ses bottes, irréprochable, quand, en réalité, il demeure très attaché à sa réputation et brutal de nature. Jacques le Gris se voit comme un grand séducteur qui s’attire les faveurs de Marguerite quand il n’en est rien et que tout n’est que façade et mauvaises interprétations. Tout cela vient dresser un portrait peu flatteur mais réaliste des hommes (avec un petit H pour bien désigner les individus de sexe masculin), obsédés par leur fierté et leur réputation.


Le Dernier Duel montre que les sujets qu’il traite sont principalement soumis à des questions de points de vue, répétant presque la même structure entre les histoires de Jean de Carrouges et de Jacques le Gris pour, au-delà des différences entre les deux personnages, montrer une perception et une manière de penser similaire entre les deux hommes. Le point de vue de la femme, en revanche, diffère largement, offrant une perspective bien spécifique qui rebat entièrement les cartes et bouleverse cette vision masculine que nous adoptions jusqu’ici sur ce monde d’hommes. Cette France médiévale est l’environnement parfait pour montrer ce qu’est un monde dirigé par des hommes et pensé par des hommes, mais la mise en perspective offerte par Le Dernier Duel mène le spectateur à se rendre compte que la société moderne reste régie par des principes similaires.


C’est pour cela que Le Dernier Duel est volontairement moderne dans sa manière de représenter la France de la fin du XIVe siècle, créant certes une ambiance fidèle à certains préjugés, mais montrant aussi une société bien plus cultivée et moderne que l’on a tendance à imaginer parfois. Si le but est de donner une image plus fidèle de cette époque, ce qui est tout à fait réussi, c’est aussi une manière de rapprocher notre époque de celle-ci et, une nouvelle fois, de rattacher les problématiques de cette époque à la nôtre. Et, au-delà du fond déjà très riche, la forme est à la hauteur, Le Dernier Duel nous immergeant dans cette ambiance froide et grave propice au déroulement de l’intrigue, avec de violents affrontements, le duel final en tête et, surtout, cette terrible scène de viol, élément central du film.


Tous à la hauteur et très crédibles dans leurs rôles respectifs, les acteurs portent ce film d’une grande qualité prouvant que Ridley Scott a encore plus d’un tour dans son sac, malgré les mauvaises critiques qu’il peut recevoir régulièrement. Le Dernier Duel est un film dur, froid, rugueux, violent, d’une grande pertinence, usant judicieusement de cette narration basée sur plusieurs points de vue pour appuyer son propos avec force mais suffisamment de subtilité pour laisser le spectateur faire parler ses propres perceptions. Un grand film, marquant et important.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 1 nov. 2021

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