Almost all aberrations of nature are possible

Le Dernier Roi d'Ecosse, ou de la trop grande facilité à accéder au pouvoir.

Tout d'abord, mettons quelques choses au clair. Oui, les acteurs sont fabuleux, oui, Whitaker est absolument monstrueux, complexe, somptueux, tout ce qu'il faut et même plus, oui, James McAvoy joue un docteur hypocrite et dépasse par ce qui lui arrive de façon convaincante. Oui, l'histoire est bien amenée, on ne s'ennuie pas, la caméra filme bien, des plans classiques mais efficaces, sans jamais en faire trop. Pas de génie, mais plaisant à regarder.

Je ne sais pas si on peut parler de film historique. Oui, il s'appuie sur des faits réels, mais non, le docteur n'a pas vraiment existé. Etait-ce réellement le caractère d'Idi Amin Dada ? Comment peut-on le savoir ? Le réalisateur le sait bien et joue là-dessus puisqu'il permet à Whitaker de tourner en roue libre, de donner toute la mesure de son talent, et son Oscar n'est pas démérité.

Je ne sais pas non plus si on peut parler de film sur la vie africaine noire, on ne peut que se l'imaginer. Alors, plutôt que de prendre parti, le réalisateur montre toutes les facettes du pays où se passe l'intrigue : L'Afrique noire qui fête, qui travaille, qui peine à manger, qui se bouscule aux hopitaux, mais qui fête quand même, mais il n'oublie pas de montrer les autres minorités comme les quelques britanniques du pays, sans doute la plus grande réussite du film, alliant critique cynique du comportement et de la condescendance occidentale envers les pays du Sud mondial mais également justesse de ton pour la critique inverse, celle de l'Occident sur un pays gouverné par un tyran.

Un tyran, oui, malheureusement, c'est assez peu montré, hormls une scène mémorable de long couloir parcouru par le jeune docteur révélant une horrible découverte que je vous laisse apprécier. Hormis cela, la cruauté du personnage d'Idi Amin Dada est assez peu mise en avant, sauf à la fin du film.

Ce qui est plutôt démontré, c'est son incapacité à diriger son pays, ses décisions à la va-vite et son ignorance face à la diplomatie, l'économie, bref, ce qui rend un dirigeant crédible et charismatique. Du charisme, oui, il en a, il est charmeur et sait haranguer la foule et plaire aux journalistes, mais ce charisme, il ne l'utilise pas à bon escient. Au contraire, et c'est c'est aussi une belle réussite du film, son charisme lui permet d'atteindre les sommets du pays sans efforts, sans intelligence, sans compétences. C'est bien cela le problème de l'Afrique d'aujourd'hui : Pas de constance, pas de compétence au pouvoir. Des dictateurs, des suites de massacres et des soulèvements, sans jamais avoir de repos, sans jamais se construire. Une armée et une bonne verve, voilà l'exemple type du coup d'état qui n'aboutit à rien, mais qui, au départ, rassure tout un peuple, avant la descente aux enfers.

Se construire, Amin le veut, mais d'abord lui-même. Ce qui lui importe, c'est lui, pas tellement son pays, ni sa famille. Il veut être bien perçu par l'extérieur, mais se rend compte qu'il n'y arrive pas et se met dans une colère que Whitaker exprime avec une cohérence incroyable. Parti comme cela, le film le montrera bien plus cruel, et surtout envers celui qu'il a pris sous son aile, le jeune Docteur Garrigan.

Nicolas Garrigan donc, jeune docteur venant d'Ecosse ( pays pour lequel le dictateur exprime une grande affection, tel un enfant monstrueux et impressionnant ), permet une deuxième approche de la montée au pouvoir et de l'appât du gain, sans forcément la compétence qui suit derrière ! Hypocrisie, c'est ce qui caractérise le mieux ce personnage dans la première moitié du film. En voulant aider le pays, il pense croire qu'aider son dirigeant va lui apporter la même chose, dirigeant dans lequel il perçoit bien vite malheureusement la cruauté et le manque de lucidité chronique, ainsi qu'un caractère enfantin impropre à la direction d'un peuple tout entier.

Dans la deuxième moitié du film, cela s'accélère, le jeune docteur veut s'enfuir, et cette volonté de fuite donne lieu à la meilleure scène du film, où Idi Amin le contraint à rester, avec un mélange d'ordre paternel et militaire, et où l'on comprend alors deux choses : La complexité du personnage qu'incarne Whitaker avec son côté tantôt enfantin, tantôt paternel ( et donc la grandeur de l'acteur parvenant à camper un tel personnage ), et la grossière erreur de la venue du docteur au service du dirigeant. D'ailleurs, la plupart de ses serviteurs disparaissent ou sont tôt ou tard traités de traîtres, à l'image de cette scène où Idi Amin devient paranoïaque après une tentative de meurtre et cherche le coupable parmi ses soldats avec des jeux de caméra rapides et prenants.

Le point noir du film, c'est la lenteur de mise en place de la relation amoureuse avec Kay, la femme du président, ainsi que l'inintéressante relation qu'il entretient avec Sarah, une collègue vue en début de film qui n'aura d'autre intérêt que de démontrer sans nécessité supplémentaire l'erreur du docteur d'être au service du dictateur et son impossibilité à rejoindre son Ecosse bien aimée.

Terminons sur une bonne note : Les dialogues relatifs au thème du racisme sont judicieux, ni clichés, ni grandiloquents, et ne prennent pas parti. Ils démontrent simplement la difficulté de communication qu'il existe entre ces deux mondes, entre l'Ouest euro-américain, et l'Afrique Noire.
JuYawn
8
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le 8 déc. 2010

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JuYawn

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