Le film parfait est chose rare
"Le Dernier Samourai" est loin d'être ce film parfait. Il est sans nul doute truffé de défauts, d'anachronismes, de récupérations (le personnage historique ayant inspiré Algren étant en principe un officier français), d'exagérations hollywoodiennes, d'incantations et de situations improbables. Les 10 premières minutes du film environ, lorsque Algren fait le vétéran alcoolique semi-cool, très imbibé et fort vulgaire, sonnent à cet égard particulièrement faux. On dirait Rambo : "Je l'ai pas voulue, cette guerre !".
Et pourtant... tout le reste du film fait du "Dernier Samourai" l'un de mes films préférés.
Ken Watanabe est simplement sidérant de présence et de prestance. La musique de Hans Zimmer est sans aucun doute l'une des plus belles partitions composées pour le cinéma. Tom Cruise n'est pas forcément dans son meilleur rôle, mais n'en fait pas "trop" comme je le lis ici ou là. La totalité des interprètes japonais des personnages secondaires sont simplement parfaits, à commencer par Shin Koyamada (Nobutada) et Koyuki Kato (Taka). De nombreux plans sont absolument magnifiques. La narration est parfaite (que les "réalisateurs" français en prennent de la graine, qu'ils apprennent à raconter une histoire).
Mais je reste là dans des modalités techniques, que je ne suis d'ailleurs pas forcément le mieux placé pour souligner.
Non, ce qui fait la force de ce film, en tout cas son effet sur moi, c'est l'âme qui le porte. Tout corrobore cette imagerie du Japon traditionnel qui me fascine tant, non seulement son esthétique, son ordonnancement, sa courtoisie, mais aussi ses valeurs et ses combats. Ce film épouse la cause du Dernier Samourai, non comme une propagande brutale et décérébrante mais comme une ode à ce qu'il aime, à ce qu'il est. Peut-être tout cela n'est-il qu'une fantasmagorie, et qu'en fin de compte il ne s'agit que d'un mensonge éléphantesque ou d'une grande Erreur, d'une naïveté incommensurable. Peu importe. Cela n'a strictement aucune importance.
Le rêve et la poésie se passent aisément de la réalité. C'est même dans leur nature. Que dire de ces quelques mots poétiques de Katsumoto sur les fleurs parfaites, qui ressemble à une morale ?
"La fleur parfaite est chose rare. On pourrait passer sa vie à en chercher une, et ce ne serait pas une vie gâchée."
Et ces dernières paroles, "Elles sont toutes parfaites", par Katsumoto agonisant.
Voilà. Elle est là, la perfection.
Elle est aussi dans la propreté, la courtoisie et l'ordre de Taka, qui masquent sa souffrance voire sa rancœur et son dégoût de devoir accueillir, soigner et bien traiter le meurtrier de son mari. Les quelques plans où la belle et discrète veuve referme en silence et à genoux les fusuma, sous le regard d'Algren, sont tout un symbole, minime mais puissant, de cette perfection que j'évoque.
Elle est aussi dans le dévouement de "Bob". Elle est dans les pleurs de Nobutada lors de son humiliation. Elle est dans le panache de la charge désespérée des samouraïs. Elle est dans le hara-kiri du général Hasegawa.
La recherche de l'excellence, non pas dans le but de "gagner une compétition", mais dans le seul but, gratuit, de la beauté et de l'accomplissement du devoir, voilà la morale à laquelle je suis extrêmement sensible, et qui place cette œuvre de mon cher Edward Zwick nettement au-dessus de beaucoup d'autres films nettement plus accomplis au point de vue technique et crédibilité. Parce que cette œuvre-ci a une âme. Quand bien même cette âme n'existerait-elle qu'à mes yeux. Ces yeux, mouillés de quelques larmes contenues à plusieurs moments.
J'ai une conviction : le rêve est plus important que le réel. La foi plus importante que la vérité.
Je le clame donc : peu m'importent les défauts du "Dernier Samourai", tant ses vertus les éclipsent.
S'il n'est pas trempé intégralement dans l'excellence de son sujet, il en constitue néanmoins une sublime apologie.