A chaque révolution scientifique et industrielle, l'on voit un nouvel univers se profiler, un nouvel univers avec tous les degrés de moralité que l'humanité compte en elle-même. A chaque révolution, se pose ainsi le débat des bénéfices et des limites, et au-delà des limites des crimes carrément que présuppose l'exploitation de tel progrès technique.
Ainsi, du temps du charbon et de la vapeur, les plus réactionnaires ont dénoncé la marche de l'histoire contre-nature et la mondialisation du stupre. Effectivement, c'est avec l'amélioration des techniques photographiques et cinématographiques que l'on vit les débuts de la pornographie et des représentations de la sexualité aromantique ou pseudo-romantique (cf. Des bêtes et des hommes de Balabanov).
Ainsi, du temps de l'informatique, l'on vit quantité d'oeuvre de science-fiction où l'ordinateur prenait le contrôle de l'humanité ou dénaturait ce qu'il y avait de plus humain en nous (cf. de la Planète Interdite à Terminator, en passant par 2001 l'Odyssée de l'espace)
Ainsi du temps de l'aérospatial, de la découverte des planètes et même des premiers avions, l'on imaginait le débarquement d'extra-terrestres belliqueux. D'ailleurs, on imaginait que cette possibilité - ce qui était pratique pour rendre politique certaines réalités, ou plus simplement pour faire de la propagande.
Du temps de l'émergence des grandes surfaces de distribution et des centres commerciaux qui ne font qu'obéir à la loi de concurrences et à la course de profits contre lesquelles tout le monde râle mais tout le monde y consent, on a vu apparaître des dystopies décroissantes voire seulement dénonciatrices des comportements manipulés par la publicité (cf. They Live !, Zombie ou 99 francs).
Je suis même certain que du temps de l'invention du feu, certains criaient déjà aux incendies, alors qu'au fond il ne s'agit que de maîtrise (et de dépêcher un contrôleur de l'Apave pour qu'il vous donne quelques recommandations sur l'emplacement de l'extincteur).
Et enfin, du temps de la poussée du nucléaire, on a pas échappé non plus à la marche de l'histoire qui, si l'on ne peut contester les bénéfices communs, restent tout de même dans les mains de quelques propriétaires et actionnaires capitalistes - moi, c'est plutôt de leur donner la sécurité à gérer selon des règles de profits maximum et de pillages extérieurs qui m'inquiète mais bon. Encore une fois, toute la culture s'en est donné à coeur joie. Je crois que c'est avec le risque nucléaire qu'on a attrapé le pompon puisqu'on a vu arriver quantité de déformations radioactives, guerres potentielles et divers zombies. Je ne listerai pas les Toxic Avengers au risque d'en oublier un certain nombre mais le fait est que le nucléaire a donné naissance aux plus épaisses suspicions, voire au rejet total... En attendant la dystopie sur l'énergie renouvelable qui pourrait ressembler à l'invasion, comme dirait Nicolas, de l'élite bobo-écolo qui ne contribue pas à l'économie terrienne mais qui aime de temps en temps aller chercher ses oeufs chez la fermière (1), nous allons nous intéresser à un film américain assez particulier puisqu'il est produit la très réactionnaire maison de production Paramount (on y doit quantité de film sur la colonisation, sur les préceptes religieux ou plus globalement sur ce que j'appelle l'esprit de nature).
Ce film, Le Dernier Testament - rien que le titre te donne envie de te finir au Destop, voit le quotidien désenchanté d'une vie familiale à cause d'une catastrophe nucléaire dont on ne connaît pas l'origine.
Alors déjà, je remarque deux choses : la première, c'est que la composition de la famille en zone pavillonnaire, situé en périphérie des villes, est typique de la composition de la famille nucléaire. Oui, oui, c'est comme ça qu'on appelle ça en sociologie, à savoir un couple ayant de zéro à deux enfants, pas plus - schéma qui rompt avec les familles rurales et/ou nombreuses. A partir de là, l'on peut constater l'ironie du sort de cette famille.
La deuxième chose, c'est que le film évolue dans un cadre post-apocalyptique où la menace est invisible, tout juste quantifiable, mal connue, sujet à ignorance, et surtout surtout on constate que l'origine de la menace est inconnue, ce qui permet de centrer le débat sur l'utilisation des armes nucléaires, comme si la faute revenait plus à la technique, c'est-à-dire aux moyens de faire chier son voisin, qu'à l'intention causale, c'est-à-dire aux intérêts qui ont poussé le voisin à justifier ce moyen. C'est important à dire que cela change considérablement le cadre de réflexions que l'on se fait, nous, en tant que spectateur : c'est l'idéologie du "tous responsable", c'est-à-dire de l'universalisation de la responsabilité du risque nucléaire. Autrement dit, parce que moi aussi j'allume des ampoules dans ma baraque, je suis le soutien inconditionnel de la chasse-gardée militaire française de l'Afrique de l'Ouest. Pour faire clair, parce que j'ai de l'électricité chez moi, je suce Areva, je suce tellement Areva que j'en ai des croûtes aux genoux. Des gens qui pensent ça, y'en a un bon paquet. C'est d'ailleurs le principal argument que la classe dominante oppose à tous ces gauchistes qui vomissent dans la main qui les nourrit. Evidemment, je me désolidarise non seulement de cette idée absurde qui voudrait mettre l'utilisateur exploité, à qui on prélève de l'argent pour l'électricité mais qui en plus n'a aucun droit de regard ou de gestion sur les comptes, sur les procédés utilisés dans les entreprises, on voudrait le mettre au même rang que le patron industriel qui a un fort besoin d'électricité pour l'exploitation, et même pire on voudrait mettre le travailleur au même rang que la bureaucratie capitaliste de son réseau distributeur. Ce qui est absurde puisque je ne touche que le RSA activité. C'est absurde, c'est comme accuser la Méditérrannée de noyer les migrants (rha la salope quand on y pense !).
Le film prend donc son parti, il en a décidé, c'est ainsi : le nucléaire, ça tue, c'est caca, ça fait vomir les poussins à deux têtes. Oui, le nucléaire est incontrôlable, tout comme des milliards de productions dont les principaux producteurs sont dépossédés, mais, pour moi, c'est une grave erreur d'exonérer les raisons de la survenue de cette catastrophe. Je n'estime pas non plus le nucléaire comme un mal commun. On part forcément sur des bases caduques qui ne feront plaisir qu'aux décroissants. Limite, je leur conseille ce film, c'est vraiment la promesse d'une branlette dantesque.
Il a toujours été de bon ton de rejeter le nucléaire. Le fait qu'on se retrouve avec ce type de dissuasion clairement agressive, preuve ultime d'un monde de dominations, mais aussi que l'individu lambda se retrouve totalement dépossédé de tout contrôle, stimule les fantasmes et l'imaginaire complotiste. De même, dans The War Game de Peter Watkins (je ne suis pas certain que s’appeler Peter quand on est pacifiste soit un bon présage, mais soit, je ne juge pas), l'arme nucléaire donne un film catastrophe où la seule alternative est l'apprentissage des plans de secours et savoir comment, avec un espoir assez vain, on isole sa maison contre les radiations.
Le point de départ du film immerge le spectateur dans un non-sens ; on ne comprend pas très bien où le film veut en venir, voire il fait délibérément grimper la sauce en terme de cadre idyllique, de rapports familiaux, ce qui génère soit un aveuglement total sur le devenir, soit une anxiété du fait qu'on ignore pendant vingt bonnes minutes la raison essentielle de ce film - et surtout quelle est cette histoire crépusculaire de dernier testament. Ou alors, vous avez lu le synopsis auparavant, et vous attendez, au fond de votre fauteuil, la menace tranquille appesantir ce quotidien, au sommet de ce que l'être lambda peut souhaiter de meilleur : une famille, un vélo, de la nature, une maison, un chien, une clôture blanche. Enfin, pour moi, c'est une prison, mais pour le rêve américain appliqué : c'est le meilleur que tu puisses avoir. Un havre de paix.
Avec un commencement de film comme cela, on est pas pas loin de la dissociation narrative et esthétique perçue dans Voyage au bout de l'enfer, avec sa banalité, ses petits couples, sa mère nature, cuic cui les oiseaux, vroum vroum le pick-up.
Dans ce monde d'ondes et de pétrole, tout à coup il n'y a plus rien. Il n'y a plus de contact avec le reste du monde. La petite cité pavillonnaire est livrée à elle-même, elle doit tout organiser de A à Z, sans le confort habituel. Le film montre aussi, assez rapidement comment les habitants sont dépendants de cette électricité providentielle et qu'ils en sont dépendants pour continuer à vivre de manière égoïste et individuelle. D'ailleurs, face à l'invisible menace, beaucoup vont d'emblée considérer qu'ils vont pouvoir continuer à vivre de la même manière. Mais cela ne dure pas longtemps puisqu'ils deviennent fatigués, malades, sales et sans but.
Du côté de l'autorité, c'est intéressant aussi puisqu'on a la jonction de trois autorités qui se complètent : la religion dont l'église sert de salle de réunion collective, la police qui devient plus pragmatique... et la science à travers la parole du médecin qui informe aussitôt de l'évolution du corps humain soumis à une exposition durable à un taux de radiation élevé. Hé bah, il t'explique qu'on finit tous comme Marie Curie. C'est quand même plus classe que de finir au paradis avec des bonnes femmes qui ne savent pas baiser #étoiledemer ou de finir comme un black non attaché dans un fourgon de police en plein rodéo (2). Si je critique autant deux des trois autorités, c'est parce que le film montre clairement l'échec de l'espoir de la résurrection et l'échec de civilisation avec une police en sous-effectif (si elle était nombreuse cette police, elle serait aussi en échec du fait du tout-répressif). Non, c'est le médecin, le gentil médecin de campagne qui tient le haut du pavé, grâce au fruit de ses connaissances matérielles. Pour une fois que Paramount diffuse un discours progressiste face à un pareil contexte, ça vaut le détour.
L'autre chose marquante dans ce film, c'est l'absence d'apocalypse au sens où on l'entend communément. Nul décor à la Cloverfield, nul champ de ruine à la Mad Max. Non. Cette dystopie se passe dans une parfaite continuité du décor d'avant la catastrophe, elle-même symbolisée par un moment d'intense lumière progressive et qui s'en va comme c'est venu. Et du coup, la caméra continue d'être dans sa photographie habituelle, dans ce parti pris du réalisme, de l'observation du quotidien familial, toujours aussi calme, posée. Il n'y a pas de chahuts ou de bagarres. Par contre, il y a beaucoup de lenteurs, de morts tragiques et de relatives résignations. Je dis "relatives" car la famille que nous suivons doit faire face elle-même à la perte soudaine du patriarche. C'est aussi une absence qui est à gérer, une absence qui relève plus de la disparition que du deuil. Et du coup, on peut aussi lire le film comme un cataclysme familial qui est atteint dans son intimité collective suite à cette disparition inexplicable.
Dans son déroulement, Le Dernier Testament traverse plusieurs phases comme s'il s'agissait d'un laboratoire, de prospecter nos comportements humains afin d'observer ce qui, en toute logique, on peut supposer qu'il arrive : la négation - la colère - l'espoir - l'incertitude - la perte de l'Etat de droit - incivilité/vol.
C'est naturellement au-delà de toute cette normalité sentimentaliste que le film devient intéressant, qu'il devient vraiment imaginatif car s'il s'était arrêté au processus normal du deuil dans la psychologie collective, je crois que cela n'aurait pas été aussi exhaustif. Parce qu'il y a vraiment un truc sur lequel le film est irréprochable, c'est sur l'approfondissement du processus d'une vie déprimée, sans but, en proie à la métaphysique la plus brutale.
Et, du coup, qu'est-ce qu'il nous reste ? Que reste-il par delà l'espérance même ? Dans un tel contexte d'autarcie, le récit tâtonne quelques pistes comme le recours à l'amusement, au savoir, à l'amitié, à la mise en commun devant l'urgence. Même si je ne vois pas vraiment de réseau de solidarité (peut-être l'adoption de l'enfant ayant des troubles mentaux ?), cela n’entache pas la lecture du film étant donné qu'on ne saurait penser à l'autre dans un tel contexte, et paradoxalement, l'empathie est décuplée. Imaginez la pénurie permanente, l'autogestion obligatoire ou même la fin de la société de consommation... Mis à part deux trois gauchos tapotant sur Sens Critique, je ne vois pas quel pourrait être le plaisir dans toute cette humanité rationnée.
Et face à cette situation, l'être humain doit savoir que le soir même, il sera vivant et qu'il a deux trois solutions devant la difficulté : trouver des ressources/résoudre (ici, c'est exclu), éviter la difficulté/être asocial ou bien accepter d'avoir peur parce que c'est normal.
Quand arrive les premiers décès, avec les symptômes que l'on savait inexorables, vient l'époque où l'on enterre ses morts. Et après le deuil, il y a encore autre chose. Il y a l'humanité dans tous ses retranchements et dans tous ses degrés. On rit, on pleure. On dit au revoir à toutes choses comme on peut en profiter comme jamais on en a profiter. On peut se contenter de l'éphémère pendant une éternité, d'un sourire arraché au milieu du charnier. Et derrière cette pesanteur, le temps du souvenir se développe...
... et l'on se dira que c'était une belle vie quand on aura fini de crever comme un chien.
L'étonnement final dans ce film, c'est que jamais il ne décolle vraiment, et sa fin est particulièrement ambivalente. Un peu comme le désespoir final qui réside dans le livre de Robert Merle - le film mentant délibérément au spectateur : Malevil. Le Dernier Testament me fait penser dans son réalisme post-apocalyptique à Malevil dans la mesure où l'on retrouve dans une autarcie des personnages très marqués (Le médecin, le curé, le policier, la mère, le vieux, etc.) mais aussi une construction par phase qui rend quasi didactique la psychologie des personnages. Donc un film aussi énigmatique que transparent.
NOTES
(1) https://www.youtube.com/watch?v=1liOJPHw17E ; "Cette élite-là, elle n'a jamais mis les pieds dans les exploitations agricoles au bord du gouffre, même si elle aime avec son panier en osier aller acheter des oeufs frais, le matin chez la fermière" (Zénith de Paris, le 9 octobre 2016).(quoique le personnage de Kris Prolls dans Fatal peut déjà être un point de caricature et de sarcasme).
(2) http://www.francetvinfo.fr/monde/usa/emeutes-a-baltimore/etats-unis-la-justice-abandonne-les-poursuites-contre-les-3-derniers-policiers-impliques-dans-la-mort-de-freddie-gray_1565625.html - ce que ne dit pas l'info, c'est que les policiers ont fait "un rodeo" avec Freddie Gray non attaché dans le fourgon.