Il y a des films qui deviennent précieux, pour de multiples raisons. Certains parce qu’ils sont précurseurs d’une nouvelle technique cinématographique (que l’on pense à THE JAZZ SINGER d’Alan Crosland, premier film parlant) ou un film inachevé d’un cinéaste respecté (L’ENFER d’Henri-Georges Clouzot). LE DÉSERT DES TARTARES de Valerio Zurlini a lui la particularité d’avoir été tourné dans un lieu unique qui n’existe plus sous sa forme d’origine aujourd’hui. La citadelle de Bam, dans le sud-est de l’Iran, où la majorité des extérieurs du film furent tournés, a malheureusement disparu suite au terrible tremblement de terre qui secoua l’Iran en 2003, et qui a fait plus de 30 000 morts.


Cette gigantesque fortification, constituée d’un mélange de terre et de paille, construite au Ve siècle avant Jésus-Christ et inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2004, demeure en reconstruction depuis plus d’une dizaine d’années. LE DÉSERT DES TARTARES restera pour toujours le plus élogieux des témoignages de ce lieu chargé d’histoire. Et dans ce dernier long métrage de Valerio Zurlini, la citadelle de Bam peut se vanter d’en être le personnage central du récit (les intérieurs ont quant à eux été créés au mythique studio de Cinecittà).


Cette première adaptation d’IL DESERTO DEI TARTARI de Dino Buzzati, l’un des grands romans italiens du XXe siècle, est un exploit en soi. Avant Zurlini, plusieurs autres réalisateurs s’y étaient risqués : Michelangelo Antonioni, Luchino Visconti et le britannique David Lean. Jugé inadaptable, il aura fallu attendre le milieu des années 70 avant que la France, l’Italie et l’Allemagne s’unissent dans cette coproduction.


Dès le début du film, le capitaine Ortiz, joué par Max von Sydow, lance « Bastiano est une frontière morte lieutenant, comme vous le constaterez vous-mêmes» au jeune lieutenant Drogo, campé par Jacques Perrin. Comme un avertissement, cette phrase donne le ton à l’histoire kafkaïenne qui en découlera. Ces hommes complètement isolés de tout, surveille un ennemi légendaire qui ne semble plus exister, ces fameux Tartares. Que des échos provenant de lointains souvenirs des militaires les plus hauts gradés, qui racontent les avoir un jour aperçus.


Plongé dans ce long métrage à cette époque de terrorisme nous en donne une signification toute nouvelle, de ce mal que nous ne voyons pas, qui peut se cacher partout et surgir à tout moment. En plus, il est question de coupures d’effectifs, de budgets réduits, réalités auxquelles nos armés font aussi face de nos jours. Mais c’est le temps qui passe lentement qui sera réellement le plus redoutable adversaire de ces officiers. En plus de Jacques Perrin et Max von Sydow, il y a aussi Fernando Rey (l’acteur préféré de Luis Buñuel), Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret et Vittorio Gassman (l’un des plus grands acteurs italiens) qui composent ce régiment un peu trop à l’étroit dans la citadelle.


Valerio Zurlini, qui avait remporté le Lion d’or au Festival de Venise en 1962 pour JOURNAL INTIME, a su habilement combiner les affrontements internes entre ces guerriers sans guerre avec quelques séquences de reconnaissance dans les territoires autour de la citadelle. Lorsqu’ils ne s’empoignent pas à l’intérieur des murs, ils semblent tous si ridicules à défier les éléments à l’extérieur. Ces scènes montrent à quel point ils sont fragiles malgré leurs uniformes, et finalement, vulnérables même entourés d’une structure qui a pour but d’intimider leurs rivaux.


LE DÉSERT DES TARTARES est un puissant long métrage antiguerre qui déconstruit le genre s’en vouloir le réinventer. Et sa modernité s’affirme encore maintenant, trouvant une résonance dans les menaces qui planent au-dessus de nos soi-disant « villes fortes ».

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le 4 juil. 2017

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Daniel Racine

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