Il s’agit sans doute du meilleur film de Sacha Guitry. On pourrait dire que les films cet homme de théâtre sont des pièces filmées. Il n’en n’est rien. Bien évidemment, l’essentiel de l’œuvre cinématographique est tiré de pièces de cet auteur génial.
Le Diable boiteux n’échappe pas à la règle et cela pour notre plus grand plaisir.
Issu d’une pièce présentée après-guerre, Guitry y règle ses comptes après ses déboires avec la justice qui l’avait accusé de collaborer avec les occupants.
Le Diable boiteux est une œuvre à la construction savante. Tous les éléments sous-tendent et soutiennent le discours du narrateur. Le personnage de Talleyrand, incarné par Guitry, est lui-même montré, avant tout comme un serviteur, un serviteur de l’Etat. Talleyrand y est montré comme un homme cultivant perpétuellement l’ambiguïté. Guitry joue avec l’ambiguïté et le statut du serviteur. Ainsi dès les premières images du film, ce sont les serviteurs de Talleyrand – incarnant également les différents souverains – qui apparaissent à l’image après un bref moment introductif et biographique.
La construction du film poursuit la même idée de mise en parallèle constante des éléments. Guitry joue ainsi avec les personnages et les situations comme il joue de la variation des régimes. La scène des angles de tapis, les entrées dans les pièces, les jeux de lumière sont autant de mises en perspective et de mises en abîme du personnage de Talleyrand que de sa propre situation.
L’auteur s’amuse également à duper les spectateurs, à user des pastiches, notamment dans la scène d’anthologie du bal masqué donné en l’honneur du roi d’Espagne. Soulignons d’ailleurs la finesse de réalisateur qui pour souligner la déception amoureuse utilisera une longue vue ; procédé ingénieux qui mériterait à lui seul toute un long développement.
Notons enfin que ce biopic d’une autre époque préserve de nombreuses qualités et un charme certain. Il faut pour apprécier les films de Guitry les replacer dans leur époque et juger de l’efficacité des partis pris. Les plans sont impeccables. Les dialogues sont puissants. La mise en scène, surtout, conserve mille vertus renforçant davantage la narration.
Un film à voir de toute urgence ou à revoir à l’envie.