En 1977 la carrière de cinéaste de Bresson touche à sa fin, une vingtaine d'années avant sa mort – L'Argent sorti en 1983 étant l'exception. Avec Le Diable probablement, il se rallie à une jeunesse refusant le monde pour partager son pessimisme. La méthode et la direction d'acteur sont toujours excentriques et rigoristes, le résultat (même s'il est plus nuancé) peut heurter comme au temps de Pickpocket. Il y a toujours ces échanges figées, séparées, anti-naturelles et anti-spontanées, imitant parfois l'émotion et plus encore l'impulsion. Les discussions vaseuses à l’Église sont puristes dans ce registre.
Mais la tendance est devenue plus souple – en attestent ces moments où l'espace public devient lieu de confrontations et de corrections mutuelles, comme la scène de l'assemblée gauchiste ou celle, aux recrues éclectiques, du bus. Le film transpire l'athéisme désespérant et l'abstraction fatiguée. Il embrasse les combats montants de l'époque, dans la filiation des post-68tards sérieusement préoccupés et en écho au climat désenchanté de l'époque (années 1970, débuts de 'la crise' généralisée). Une fois le fouillis des rebellocrates et des pré-punks à chiens de salons cossus mis de côté, la mise en scène se concentre sur les pérégrinations du protagoniste et un de ses amis. Aux côtés de ce dernier Bresson affirme une sensibilité écologiste, en fournissant des pièces à conviction : vidéos de bébés phoques sacrifiés ou de pollution maritime ; évocation du danger radioactif lors d'un cours en amphi.
L'humanitarisme et le solidarisme sont en mode mineur (les images d'un handicapé sont les seules à concrétiser). Le protagoniste, jeune parisien à l'allure féminine, n'a pas d'aspirations arrêtées ou pertinentes, malgré son arrogance. Bresson est complaisant à son égard, met en valeur sa volonté et sa sincérité, même si elles sont stériles et fières de l'être – en tout cas, à l'aise de l'être. Ce Charles, petit connard « lucide », se sachant plus intelligent (« ma maladie c'est de voir clair »), finira par trouver sa voie chez un psychanalyste – dont il n'attend rien et n'obtient rien directement, au demeurant. Les vains soubresauts d'une époque absurde et démissionnaire, ses révoltés ridicules, ses fois régressives, ses encadrements de morts-vivants, puis toute sa force d'inertie débile et sophistiquée, sont illustrés avec cette séquence. Au bout de l'hyper-contrôle, de l'épure et de la dévitalisation, Bresson est arrivé au cinéma shoegaze.
Ses personnages les plus remarquables regardent leurs pieds ou leurs flux d'idées, pleurnichent en théorie, obéissent passivement et se retirent avec des fracas sans effets autour d'eux – le petit théâtre peut se mettre en branle mais l'énergie n'est plus humaine. Ce héros romantique n'est pas simplement dans le mauvais monde, il est une aberration dans son époque – aberration récurrente, nombriliste, insipide en bout de course quelque soit son potentiel. C'est l'emblème d'une jeunesse à l'individualisme dégénéré, tendu vers sa liquidation – comme le reste des éléments de la prison sociale. Au bord du vide complet il lâche « J'avais crû que dans un moment si grave j'aurais des pensées sublimes », preuve que sa vanité était bien le dernier obstacle pour faire écran. Soi aussi, c'est surcoté. Il a oublié d'être le sujet de sa propre réflexion : « pour rassurer les gens il suffit de nier l'évidence ».
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