Quand on parle de roman russe, on pense tout de suite à une foule de personnages, à des destins qui s'entrecroisent, le tout formant une fresque ou la condition humaine est ramenée à son échelle.


Pour transposer au cinéma le roman de Boris Pasternak, David Lean est obligé de recentrer l'histoire sur le personnage principal. Pour plaire au public américain en particulier et occidental en général, il met l'accent sur l'histoire d'amour impossible. Il y a donc une vision à plusieurs niveaux.


A mon sens le principal intérêt reste la base des destins croisés de quelques personnages qui peignent une image de la révolution russe.


"La vie individuelle est morte"


Pavel Andropov est un étudiant idéaliste qui s'engage sans retenue dans la révolution, jusqu'à se fanatiser et devenir un criminel de guerre sous le nom redouté de Strelnikov: "Un village trahit, un village paye" (ce n'est pas le même). Jusqu'au jour où il comprend qu'il a trahi ses idéaux de jeunesse et abandonne tout pour retrouver sa femme (le retour aux sources). Il reprend alors son nom d'Andropov et ne répond plus au nom de Strelnikov. Il est devenu traitre à la révolution; en tout cas jugé tel.


Komarovsky est le profiteur sans scrupule, celui qui exploite les classes laborieuses, manipule les autorités, abuse de Larissa Andropova. Tous les régimes lui conviennent. Il noue des alliances dans tous les camps et se rend indispensable. C'est le salaud intégral, doué pour la survie.


A l'inverse, la famille Gromeko n'est pas douée pour la survie. Ce sont des bourgeois honnêtes, mais égoïstes et naïfs. Les conseils de Yevgraf Jivago, leur donneront un répis.


Yevgraf, le demi-frêre de Youri Jivago est un apparatchik. Il suit les consignes du parti et fait carrière. Il est conscient de l'iniquité de certaines règles. On ne sait pas s'il les approuve, mais il les applique.


Larissa Andropova est une beauté convoitée par beaucoup. Elle n'a pas beaucoup de caractère et cherche à survivre. Son mari l'a abandonnée pour la révolution. Komarovsky l'utilise et la rejette selon ses humeurs. Jivago pourrait être le protecteur qu'elle recherche.


Elevé par les Gromeko, Youri Jivago est un bourgeois choqué par les abus des forts sur les faibles. Il est d'abord favorable aux bolcheviks dont il espère une société moins inéquitable. Bien que médecin, la poésie est sa vraie passion, ce qui fait de lui l'alter ego de Pasternak. Comme lui, il cherche surtout à survivre avec Lara/Olga (Olga Ivinskaïa, l'amour de Pasternak)


De nombreux autres personnages sont intéressants: les responsables de l'immeuble, tout imbus de leur petit pouvoir, le fanatique dans le train, les rapports entre le chef militaire et le commissaire du peuple dans la petite troupe rouge...


La fille de Larissa est la femme nouvelle. Elle est méfiante, craintive, ignore tout de ses parents, de leur culture, de leurs aspirations et de leurs souffrances. C'est une pâte vierge à modeler. Seule sa balalaïka est le fil conducteur du film qui la relie au passé.


La guerre est terminée. Tout semble apaisé. On aperçoit un portrait tout frais de Staline.


A sa sortie, ce film a été taxé de propagande américaine par une certaine élite intellectuelle française. Mais il est très en retrait des scènes d'horreur de Pasternak et bien naïf en regard de tout ce que nous avons appris depuis.


Aujourd'hui seuls quelques irréductibles staliniens peuvent encore parler d'exagération pour cette superbe fresque. Les personnalités sont broyées au profit d'une masse abstraite qui ne serait pas composée d'individus. Les souffrances du peuple russe sont suggérées tout en nous épargnant les scènes les plus horribles dont raffole le cinéma actuel. Tout est dans les détails, comme le thème obsédant de la chanson de Lara.

-Marc-
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le 15 juil. 2015

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