Initié dans Bob le Flambeur, le film noir selon Melville met ici en place ses jalons avec plus d’aplomb. La scène d’ouverture en est l’archétype. Plan séquence urbain, elle suit la silhouette de l’imperméable et du feutre d’un individu qui semble l’émanation même du décor. Surcadré par les poutrelles métalliques, le fracas des trains et la misère des terrains vagues, dans un noir et blanc se manifestant surtout par un gris uniforme.
Méthodiques, plutôt taiseux, les personnages sont toujours sur un coup, tendus vers l’après : des plans, des combines qui supposent qu’on garde le silence ou qu’on déguise la vérité, qui surgit sans qu’on s’y attende, aussi rapide et brutale qu’une poignée de balles dans le ventre.
Regianni le sombre s’annonce comme le protagoniste, mais cède le pas au solaire et indiscernable Belmondo : salaud désinhibé ou héros très discret ?
Une grande partie du film repose sur cette confusion, au gré d’un scénario retors et complexe. Les scènes se divisent entre les discussions laborieuses des policiers tentant de mettre au jour les plans savamment élaborés, et le silence méthodique de ceux qui les mettent à exécution.
A ce titre, Silien est un scénariste et metteur en scène hors-pair ; la malice de Melville est de ne nous révéler que très tard ses intentions réelles. A l’air libre ; il œuvre en coulisse à la réhabilitation de son ami retourné en détention.
[Spoilers]
Mais l’explication qui démêle l’écheveau n’est pas le dénouement. Dans ce monde des caves où les femmes dansent sur le zinc au son d’un jazz résolument cool, la tragédie sommeille, mais ne s’étiole pas. En réponse à l’opacité des agissements de Silien, Maurice commandite un peu trop tôt son meurtre, depuis la prison.
Les masques africains et autres statues d’ébène jalonnent bon nombre d’hôtels particuliers qu’on visite ou cambriole. Témoins muets, fascinant et effrayants des gesticulations finalement bien vaines des protagonistes. C’est le cas du lieu final, dans lequel sera gâchée toute la savante machination.
Dilatée, dénuée de dialogues, la dernière séquence gagne en pathos ce qu’elle ajoute en sécheresse de ton. A trop vouloir jouer avec les ficelles du destin, Silien s’en voit puni, et Maurice tombe sous les balles de sa propre vengeance.
Entre nouvelle vague française et le film noir américain, Le Doulos touche autant qu’il fascine.

Créée

le 21 mai 2014

Critique lue 2.5K fois

76 j'aime

12 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2.5K fois

76
12

D'autres avis sur Le Doulos

Le Doulos
Ugly
8

L'homme au chapeau

En argot, un "doulos" est un chapeau et par extension, un indic, un donneur parce qu'il porte le chapeau comme les policiers à cette époque. C'est un film noir dans la tradition des films français...

Par

le 26 sept. 2016

27 j'aime

2

Le Doulos
oso
8

A l'ombre de l'arnaque

En adaptant au cinéma le roman du même titre de Pierre Lesou, Melville fait sien tous les codes du film noir à l'américaine pour rendre au genre un hommage vibrant et terriblement soigné. Chaque...

Par

le 30 mars 2014

22 j'aime

Le Doulos
lessthantod
9

Il faut choisir, mourir ou mentir

Le Doulos est un film noir particulièrement intelligent, au scénario palpitant et à la mise en scène très soignée ... du Jean-Pierre Melville, quoi ! Alors je ne sais pas si c'est le meilleur film de...

le 25 mai 2019

20 j'aime

13

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53