Kyoji, un jeune médecin, contracte la syphilis, durant la seconde guerre mondiale, en soignant un blessé qui était atteint de la maladie. De retour chez lui après la guerre, il renonce à se marier avec la jeune fille qui l’attendait depuis 6 ans, refusant de lui donner la raison.

Kurosawa voulait faire sortir Mifune des rôles de gangster et il lui a offert ici le rôle de ce médecin sacrifié. Et l’acteur se révèle être autant capable de camper un homme crapuleux, qu’un « saint », car c’est ainsi que cet homme va finir par être appelé par ses malades auxquels il se dévoue totalement. Une « sainteté » forgée dans un silence d’une profondeur vertigineuse. Le spectateur, qui connaît son secret, est saisi en voyant Kyoji vivre son quotidien, résister aux appels désespérés de la jeune fille qui ne veut pas le lâcher, le tout en silence, sans lâcher un mot sur ce qu’il vit. Une poignée de personnes finiront par être au courant et par le soutenir dans son parcours de vie devenu écrasant. Parmi ces personnes, une infirmière stagiaire, qui a découvert son secret et qui est tout le contraire de Kyoji : elle parle à tort et à travers, elle exprime ses sentiments : sa frustration, sa colère, son refus de vivre ; elle crie, elle pleure. Tandis que lui reste de marbre et avance jour après jour sans rien montrer de ce qu’il porte en lui.

Mais voilà que Rui l’interroge. Cela donne lieu à une scène magnifique, la seule séquence durant laquelle Kyoji s’autorise à exprimer sa douleur, à la cracher :

Il y a deux types de patients, non ? Certains crient de douleur. D’autres supportent une douleur en dégoulinant de sueur.
- Alors vous êtes le type dégoulinant de sueur ?
- parce que je n’aime pas perdre et que je suis médecin.
- mais les médecins sont aussi des êtres humains, non ?
- Aujourd’hui, j’ai découvert qu’elle allait devenir la femme d’un autre gars. Je pensais que je pouvais tout lâcher. Je ne peux pas ! A présent, je me bats avec mon propre désir. (…) Pourquoi dois-je tant souffrir ? Je suis un malade syphilis, mais ce n’est pas ma faute. (…) Mon désir hurle parfois ! Mais j’ai cette conscience morale, essayant de tuer mon désir ! Ma conscience tue mon désir ! Je veux détruire cette conscience et vivre comme mon désir le souhaite ! (…)

Face à ce déferlement de paroles et de souffrance, Rui ne peut répondre que par des pleurs bruyants qui calment aussitôt Kyoji. Et il s’enfonce de nouveau dans son silence, reprenant ses instruments de travail, retournant à ses malades et écoutant sa conscience.

C’est ce duel entre conscience et désir qui est au cœur de cette histoire. Duel silencieux entre le sens de la responsabilité envers autrui et le désir de connaître l’amour. Ce thème de la responsabilité revient sous divers aspects durant l’intrigue. Grâce à l’attitude de Kyoji, Rui apprend à ses côtés le sens de la responsabilité et change radicalement de comportement.

Kyoji est campé avec le charisme habituel de Mifune et il est entouré de rôles secondaires consistants qui donnent de la force à cette intrigue très simple : Misao, la fiancée abandonnée ; Konosuke, le père de Kyoji (Takashi Shimura) ; Riu la jeune infirmière en formation et enfin le malade qui a donné à Kyoji sa maladie et qui se comporte sans aucun souci de l’autre.

Kurosawa nous dresse là le portait magnifique d’une personne héroïque et ordinaire, traversant avec courage la solitude existentielle sans baisser les bras. Kyoji rejoint ainsi la galerie de ces héros solitaires et tragiques qui se battent pour d’autres (voir : Je ne regrette rien de ma jeunesse, L’Ange ivre).

https://www.youtube.com/watch?v=3gMQ2gKtS0A

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le 28 nov. 2022

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