L’un des premiers films du catalogue Universal Monsters, qui fleurira avec l’avènement du parlant prend sa source, comme souvent, dans un mythe européen, et plus précisément français. En adaptant le roman de Gaston Leroux, le studio sait que la touche locale sera une composante essentielle de son imagerie. Et force est de constater que le défi est relevé. Les superbes décors reproduisent à merveille l’Opéra Garnier, pour de grandes scènes collectives établissant la grandeur du monde des élites avant de la confronter au grain de sable dans l’engrenage que sera le fantôme éponyme : un masque étrange dans un bal en bichrome rouge, l’exigence de ce qui se passe sur scène et jusqu’à la chute fracassante d’un lustre géant sur le public.
Dans cette intrigue amoureuse qui met de côté l’un des éléments les plus intéressants du passé du protagoniste (à savoir le vol de son œuvre), les espaces ont clairement le premier rôle. La femme n’est qu’une muse destinée à occuper le devant de la scène pour être par la suite emprisonnée dans les souterrains, et le fantôme le roi incontesté de la structure, de ses fondations obscures à la statue qui habite le ciel, et sur laquelle il trône avec sa cape iconique. En contre-point de cette posture, le moment tant redouté du dévoilement du visage servira aussi son lot d’émotion par le macabre faciès de Lon Chaney, le fameux homme aux mille visages qui assurait lui-même ses maquillages.
Le rythme effréné ne ménage aucun temps mort, et fait des personnages les passagers d’une course folle qui multiplie les moyens de transport (cheval, barque, calèche) et l’exploration de lieux secrets. Car après les espaces de socialisation, c’est dans ses arcanes que l’Opéra révèle ses secrets les plus fascinants, à grand renfort de trappes, de pièges ou de chambre des tortures qui mènent le film sur un terrain d’aventures que ne renierait pas un Indiana Jones. Après de nombreuses péripéties en huis clos, la catharsis de poursuit sur les extérieurs : comme en écho à la foule guindée des spectateurs de l’opéra, l’émeute populaire contre le fantôme en pleine fuite (et passant notamment devant les décors restant de Notre-Dame de Paris) offre un nouveau et splendide lynchage mêlant le feu et l’eau, portant à son apogée le théâtre de la cruauté : même dans sa mort, la créature sera parée d’une aura mythique.