Avec ce polar, John Huston faisait une entrée triomphale dans la mise en scène ; alors qu'il travaillait depuis 10 ans comme scénariste pour la Warner, il se voit confier la réalisation de son premier film, dont le sujet ne pouvait que le ravir. Il s'agit d'un des romans les plus fabuleux de la littérature policière américaine, dont l'auteur Dashiell Hammett était déjà entouré d'une aura légendaire, et pourtant ce n'était pas la première adaptation puisque ce roman avait été porté à l'écran déjà 2 fois par la Warner, en 1931 et en 1936. Mais c'est cette troisième version qui reste gravée dans toutes les mémoires, atteignant un rang quasi mythique, faut croire que Huston a su faire une approche adéquate du roman dont il a écrit le scénario. Comment l'expliquer ? ça tient à une combinaison d'éléments.
D'abord, Huston engage Bogart qui avait tourné jusque là quelques bons films mais toujours en second rôle important ou en troisième couteau dans des emplois de petits truands ; d'emblée, il s'impose dans ce rôle de Sam Spade au point de symboliser à tout jamais le "privé" cher aux lecteurs de romans policiers, il le reprendra dans le Grand sommeil. Quand on sait que Bogart aurait pu ne jamais l'incarner, on en a des sueurs froides car le rôle de Spade fut d'abord proposé à George Raft qui refusa car il ne voulait pas se risquer sous la direction d'un réalisateur débutant.
Ensuite, ce qui marque avec le Faucon Maltais, c'est la naissance d'un prototype, celui du film noir. Le film contribua donc à forger ce nouveau style du cinéma policier, fondé sur l'enquête d'un "privé" au sein d'un microcosme souvent étrange et corrompu, avec une description des comportements, et une narration spécifique, se différenciant ainsi du film de gangsters qui avait fait les beaux jours de la décennie précédente. Le style est donc sobre, sec, percutant, la mise en scène est sans fioritures, au cordeau, avec un découpage très précis, Huston insiste sur le double jeu des personnages qui tous tentent de doubler leurs rivaux, c'est une galerie de figures inquiétantes.
Le rôle de Mary Astor est ambigu, à la fois celui de la douce héroïne et de la garce de roman noir, Peter Lorre est le petit malfrat retors et craintif, Sidney Greenstreet est le "fat man" de tout bon polar, obsédé par la quête de richesse, ici ce fascinant faucon de Malte qu'il veut posséder, Barton MacLane est le flic officiel blasé, tandis que Elisha Cook est la tête à claques qui sert de paravent aux autres personnages... Dans cet univers trouble, Spade est le seul qui soit lucide, les autres recherchent le faucon par cupidité ou par folie, lui il agit en professionnel. La découverte finale est révélatrice de la vanité de cette recherche, et le privé retournera à sa routine de privé. A noter que le choix des acteurs fut déterminant, la paire d'aventuriers à moitié truands joués par Peter Lorre et Sidney Greenstreet sera tellement saisissante, que ces deux là feront ensemble d'autres films toujours dans des personnages pas nets, et Greenstreet dont c'était le premier film, devenait célèbre à 62 ans.
Le style du film noir se retrouve aussi dans l'image, elle est symptomatique dans ses tonalités propres au genre, la nuit est noire, la lumière frôle les personnages et les objets, bref le film noir s'accompagne de tout un arsenal à la fois technique et psychologique. J'ai entendu dire parfois que ce film était un peu surestimé ; je ne sais trop, moi j'ai vu ce film très jeune et ça m'avait d'emblée fasciné, revu plus tard, je n'ai guère changé d'avis, il y a quelque chose d'indéfinissable dans le Faucon maltais, en tout cas, il est "taillé dans l'étoffe dont les rêves sont faits" pour reprendre une réplique célèbre, et je crois qu'il n'a pas trop volé sa réputation.

Créée

le 27 oct. 2019

Critique lue 650 fois

43 j'aime

37 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 650 fois

43
37

D'autres avis sur Le Faucon maltais

Le Faucon maltais
Sergent_Pepper
7

Knight and the city

“You gotta convince me that you know what this is all about, that you aren't just fiddling around hoping it'll all... come out right in the end!” En une phrase et avant un chapelet de répliques...

le 12 sept. 2018

42 j'aime

6

Le Faucon maltais
Docteur_Jivago
9

Noir Désir

The stuff that dreams are made of Considéré comme l'une des pierres angulaires du film noir, Le Faucon Maltais, adaptation du roman de Dashiell Hammett, est aussi le premier film de John Huston après...

le 2 mai 2017

41 j'aime

8

Le Faucon maltais
mistigri
7

L'oiseau de mauvais augure.

Ca faisait depuis mon enfance que je rêvais de voir Le Faucon Maltais. L'opportunité s'offrant à moi, je bondis, étant sûre de voir un gros chef d'œuvre. Et là, petite déception. Bien que l'ensemble...

le 28 nov. 2010

37 j'aime

18

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

123 j'aime

98

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

98 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 4 déc. 2016

95 j'aime

45