De 1917 à 1919, Roscoe Arbuckle, dit Fatty (le Gros) et Buster Keaton auront réalisé en commun près d'une quinzaine de courts-métrages. Aux débuts de leur collaboration, Buster Keaton est le second assistant d'Arbuckle, mais devient très vite, au bout de trois films, son premier assistant, et finira par coréaliser avec lui.
The Garage, (le garage infernal) réalisé en 1919, est le dernier des courts-métrages réunissant Buster Keaton et Roscoe Arbuckle. Leur aventure commune débute en février 1917. À cette époque, Buster Keaton vient tout juste de quitter la troupe familiale, The Three Keatons, qui s'était fait un nom et une solide réputation dans le vaudeville et les arts du music-hall. Il avait acquit depuis l'âge de ses trois ans, une expérience de casse-cou dont il se servira avantageusement pour mettre en avant ses talents d'acrobates. Dans ses mémoires, Slapstik, il écrit :
" Je réussissais les chutes les plus invraisemblables sans me faire mal simplement parce que j'avais appris le truc si jeune que le contrôle de mon corps était devenu mon sixième sens. Si je ne me suis jamais rien cassé sur scène, c'est parce que j'évitais toujours de me recevoir sur la nuque, la colonne vertébrale, le coude ou le genou. C'est comme ça qu'on se brise les os. Il faut aussi savoir quel muscles durcir et quels muscles relâcher, c'est tout bête."
Toutes les années passées à recevoir les coups l'auront endurci, et finalement aidé à poser les jalons de ses futures ambitions. Mais pour l'heure, Keaton décide de voler de ses propres ailes, et de quitter, à 21 ans, le giron familial. L'une des raisons avancées, mais pas la seule : un père alcoolique, accroc aux fortes liqueurs et de plus en plus violent. Une décision qui décidera à elle seule de l'orientation de sa carrière.
Buster Keaton arrive à New-York en février 1917, avec un seul et unique but : faire du cinéma à tout prix. Et le hasard lui fait mettre sur son chemin un certain Roscoe Arbuckle, colosse de 130 kilos en forme de bonhomme Michelin, champion du lancer de tartes à la crème ! Ses cabrioles et ses pitreries lui ont assuré une indéfectible célébrité dans les productions de Mack Sennett, chantre des comédies burlesques qui comptera dans ses rangs les noms les plus illustres...(Charlie Chaplin pour ne pas le citer)
Justement, en ce début d'année 1917, Arbuckle rompt son contrat avec Sennett, quitte les studios de la Keystone, pour s'essayer à la production indépendante. Il est en train de tourner son premier film, Fatty garçon boucher, ça tombe plutôt bien pour Keaton, qui se présente à lui, par l'intermédiaire d'un comique hollandais au nom de Lou Anger. Après un essai convaincant, Roscoe l'engage à 40 dollars la semaine. Pas cher payé pour recevoir des sacs de farine en plein poire, mais bon, peu importe, l'argent pour Keaton n'aura jamais été une préoccupation majeure.
D'emblée, il éprouve une affection et une admiration sans bornes pour Arbuckle, pour l'homme, et ses talents d'acteur et de metteur en scène. Fatty Arbuckle l'initie au cinéma, lui explique tout par le détail : la technique, le maniement d'une caméra, le montage, absolument tout ce qui peut toucher, de près ou de loin, à l'élaboration d'un film. Il lui apprend toutes les ficelles du métier, et Buster Keaton découvre comme un enfant émerveillé, le cinéma, "cette immense fabrique de rêves". Au fond de lui, il sait. Qu'il va définitivement consacrer sa vie au septième Art. L'avenir ne lui donnera pas tort ...
The Garage. Ce garage fait aussi bien office de garage pour réparer les voitures que d'entrepôt pour véhicules de pompier. Traduit en français par le garage infernal. Ce n'est pas un mauvais titre quand on songe aux manifestations chaotiques qui vont s'y produire..... Bien sûr on y retrouve ce qui fait le charme du slapstick, à la différence près que, l'huile de moteur remplace les sempiternelles tartes à la crème.... Le film regorge de trouvailles typiquement keatoniennes (l'astucieux système de cordage actionné par des poulies, qui permet à Keaton et Arbuckle, d'un simple coup de corde, de se débarrasser de leur nuisette, et de partir le plus vite possible en intervention !)Toute la mécanique du rire chère à Keaton trouve une expression dans la précision quasi mathématiques des gags.
Par moments, le film fait preuve d'un raffinement étonnant dans la confection des gags : je pense à l'irrésistible gag du kilt écossais.
Buster Keaton n'est pas en reste pour nous offrir, comme il en a l'habitude, des prouesses physiques de haut vol.
La fin brille par l'intelligence de sa mise en scène, et laisse déjà entrevoir ce dont son génie sera capable dans ses futurs longs métrages....