[NB : ma note « objectivisée » est ici un 7 cœur]
Le Garçon et la Bête, c’est l’histoire d’un passage de flambeau, à la fois à l’écran et derrière l’écran. Ainsi, tandis que Ren/Kyûta, notre héros, se prépare à prendre la relève de son maître Kumatetsu, Mamoru Hosoda s’affirme incontestablement comme la nouvelle figure incontournable de l’animation japonaise.
Objectivement
Alors qu’Hayao Miyazaki a annoncé prendre sa retraite après Le Vent se Lève, on entend ici et là murmurer qu’Hosoda serait le « nouveau Miyazaki ». C’est à mon sens autant une erreur que de qualifier Sion Sono de nouveau Takashi Miike : ce n’est pas parce qu’ils occupent un créneau similaire que des artistes sont si aisément comparables. Il est vrai, cependant, que dans le vide laissé par la génération précédente, c’est bel et bien Hosoda qui semble émerger aujourd’hui. Fédérateur dans ses thèmes, agréable dans ses graphismes, capable de séduire un public de plus en plus large, il poursuit une carrière de plus en plus prometteuse.
On retrouve dans Le Garçon et la Bête à peu près la même recette que dans Les Enfants Loups : la problématique de la relation parent-enfant au cœur de l’histoire, avec l’irruption du fantastique par le biais d’animaux anthropomorphes qui permettent d’amener une réflexion sur la condition humaine. Une ambiance globalement légère pour un sujet pourtant vaste et subtil, dans lequel chacun se projettera avec la profondeur qui correspondra à sa sensibilité propre. Ici, l’enjeu principal est celui de la carence affective, et de la manière dont elle va être comblée.
Dans l’ensemble, l’histoire qui va nous être proposée est assez banale. Un jeune garçon qui a fugué après avoir ressenti un violent sentiment d’abandon va être pris sous l’aile d’un ours anthropomorphe au caractère peu commode mais qui a besoin d’un apprenti et successeur s’il veut espérer prendre la place du chef de sa communauté. Au fil des années, ils vont apprendre à cohabiter, à se connaître et à tisser des liens. L’ours grognon se révèlera avoir un cœur d’or, les deux protagonistes développeront une solide complicité qui sera mise à l’épreuve à de multiples reprises, bref, on connaît l’histoire.
Du côté du monde parallèle qu’habitent Kumatetsu et ses compères anthropomorphes, s’il n’est pas exempt de poésie, il reste bien loin des univers grouillants, débordants d’idées créatives des titres les plus connus de Miyazaki. C’est que là n’est pas l’objet de ce film. On retrouve ici une autre caractéristique des films d’Hosoda : les éléments fantastiques fonctionnent comme des symboles ou des facilitateurs, mais ne dénaturent pas en profondeur un scénario qui reste, globalement, assez réaliste. Par le truchement de figures mythiques, les questions abordées demeurent très ancrées dans la société actuelle. Manière tendre d'évoquer des sujets sans cela trop austères et éprouvants.
Tout ajouté, on est là devant un film certes de bonne facture, mais néanmoins tout à fait classique. Et ça ne s’arrange pas avec une fin qui s’avère relativement confuse et laisse un arrière-goût de gratuité, malgré quelques très belles images. C’est au point de croire rentrer dans un mauvais shōnen, du genre où le héros finit par triompher du pire des démons par la seule force de l’amitié. Je vous rassure, tout ne se résume pas à ça, mais il n’en reste pas moins que la résolution semble un peu forcée. On n’en voudra pas à Hosoda, qui s’adresse partiellement à un jeune public, mais on en sera un peu irrité en tant que cinéphile.
Alors, pourquoi une note personnelle aussi élevée de ma part ?
Subjectivement
J’ai tenté jusqu’ici de rester aussi objective que possible dans mon analyse, mais il m’est impossible de justifier ma note personnelle, clairement survalorisée, sans m’attarder sur un détail qui me touche pourtant tout particulièrement. Je me le permets car je m’imagine que les sentiments que je vais évoquer ici, bien que dans des intensités différentes, tout un chacun les éprouve. Je voudrais vous parler de cette représentation terrible, glaçante dans sa justesse en même temps que sa poésie, de ce vide monstrueux que l’on ressent au fond de soi quand l’on se sent abandonné, et qui dévore tout. Qui fait vaciller tous les piliers de notre identité pour les remplacer par la haine, l’amertume, et la rage. Qui transmute la peur et l’angoisse, devenues insoutenables dans leur omniprésence, en pure volonté de destruction. Qui anéantit compassion, pitié et jusqu’au respect de soi-même. O Christ how I hate what I have become.
Un autre film d’animation avait très bien dépeint cet état psychologique cette année, bien que moins dramatiquement. Vice-Versa, dans sa représentation des îlots de personnalité qui tombaient un à un lorsqu’ils étaient sollicités alors que l’héroïne n’avait plus de joie en elle, rejoignait à mon sens la même idée. Ici, la représentation d’Hosoda est très épurée, loin d’être aussi explicite. Elle tient en un élément graphique particulièrement marquant, fait d’obscurité et de constellations lointaines, incrusté dans la poitrine de son personnage au moment où ce vide menace de l’engloutir. A mes yeux, cette vision est à l’image du film : dans sa grandiose simplicité, elle renvoie à une symbolique émotionnelle extrêmement riche où chacun puisera à sa guise.
Plutôt que d’être la montagne qui accouche d’une souris, Le Garçon et la Bête serait plutôt une souris capable d’accoucher d’une montagne. Doué d’une grande force de suggestion, il appelle ceux qui y sont disposés à y transposer leurs propres sentiments, leurs propres expériences, qui parviennent parfaitement à trouver leur place dans cet univers contenant juste ce qu’il faut de fantasme pour s’autoriser à y inclure son propre imaginaire. Je dis « ceux », mais je parle ici de moi, je ne trompe personne. Cependant, je me dis que je ne peux pas être la seule, car j’avais été également très touchée par Les Enfants Loups, où cette image qui m’a tant marquée n’apparaît pourtant pas. Ce n’est donc pas un évènement isolé ; un schéma semble se dessiner dans les films d’Hosoda, dans cette capacité d’atteindre des émotions profondes, comme ça, à peine, dans un frôlement, et faire sortir du fond de notre poitrine une palpitation d’une intensité insoupçonnée.
C’est ainsi que je me permets de lancer cette critique, telle une bouteille à la mer ; car je ne doute pas que d’autres sauront saisir dans ce film tel ou tel éclat qui leur parlera personnellement. L’histoire qu’on nous raconte ici, si elle semble si banale, c’est avant tout parce qu’elle est universelle. Elle ne parlera certes pas à tous, mais il faut bien s’exposer pour savoir si l’on est susceptible d’être touché. Je vous invite donc à faire l’expérience par vous-même. Pour les autres, Le Garçon et la Bête restera un divertissement satisfaisant.