Le Garçon et le Héron
6.9
Le Garçon et le Héron

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2023)

Hayao Miyazaki, du haut de ses 82 ans, revient avec un magnifique film d'animation et montre que son génie de l'animation demeure toujours aussi bien rôdé. Après nous avoir laissé, il y a près de dix ans avec Le vent se lève (2013), il retourne aux sources du merveilleux. En effet, d'un Biopic concret et réaliste, racontant la vie de l'ingénieur en aéronautique Jirō Horikoshi, le rêve et le fantastique reprend une place considérable au travers de l'œuvre Le Garçon et le Héron.


Cette nouvelle œuvre abonde de richesse, foisonnante de thèmes ainsi que de symboliques et appelle à une réflexion forte pendant et après avoir vu le long-métrage. L'animation, ses mouvements et ses couleurs sont des pépites prouvant le talent indélébile de Miyazaki. Il retourne plus en détail dans ces mondes bercés par la mythologie, l'imaginaire et la quête du héros principal. Ce jeune garçon nommé Mahito ayant perdu sa mère lors d'un incendie, s'installe avec son père dans un vieux manoir où il fait la rencontre de Natsuko, la nouvelle femme de son père, et d'un héron cendré bien étrange. En supplément, on entend la musique saisissante de Joe Hisaishi (Fille de feu, Ask me why...)


Il s'agit d'un film qui laisse libre à l'interprétation de chacun tant ses thématiques sont prolifiques, il développe en effet un certain nombre de lectures possibles dans son récit. Avec ce film, nous nous rendons compte que les films qui laissent réfléchir sont devenus rares, très rares. Nous allons donc tenter d'évoquer quelques points abordés durant ce long-métrage, qui se sont laissés digérer et qui ont bien mûris dans mon esprit. Passons maintenant à l'analyse divulgatrice qui n'engage que moi dans un premier temps.



Le pouvoir et l'art


L'arrivée d'une pierre étrange pourrait se lire comme la structuration d'un imaginaire, d'une pensée sur laquelle se forge un édifice à l'image probable du studio Ghibli. La salle de l’accouchement serait le symbole d'une pièce infranchissable, lieu reculé et intime de la tour où l'artiste produit, écrit, créé, et change ses pensées en œuvres. Reprenant la voltige des papiers, grouillant dans les airs en masse, semblant infinis et recouvrant les personnages.


Le parallèle avec ce royaume ahurissant de perruches montre que la violence ce perpétue de monde en monde même avec les plus innocentes créatures si elles sont placées en haut de la hiérarchie, comme si l'hégémonie d'une puissance la confortait à garder son statut autoritaire. D'un côté plus artistique, ces perruches colorées pourraient aussi représenter une forme de capitalisme où l'argent tend vers une destruction de l'art. Les perruches ont pour entreprise de dévorer les nouveaux venus dans l’imaginaire, ceux qui proposent un nouvel air frais. On le voit à la fin avec le souverain perruche qui s'empresse de bâtir une tour déséquilibrée et vascillante, symbolisant potentiellement la déchéance d'un art fondé dans la rapidité et seulement conforté par un capitalisme dévoreur.



La mort


Le monde imaginaire reprend les thématiques d'un monde d'équilibre fondé sur la mort et les naissances. Miyazaki se dote d'une figure volatile mémorable reprenant une forme de malice propre à l'Oiseau de Paul Grimault pour qui il voue une grande admiration. Ainsi, son oiseau est un héron cendré pouvant être associé à une figure mortuaire et de désespoir qui est d'abord agressive et cherche à tromper le jeune Mahito. Il accepte ce compagnon sournoi et un tantinet râleur au fur et à mesure, à l'image de son traumatisme suite au décès de sa mère, la mort devient son guide. Son acceptation passe notamment par la représentation plus jeune de sa mère (Himi) où le feu ne représente non plus sa déchéance mais bien une force.


Les pélicans représentent la mort instinctive et naturelle, ils sont contraints de tuer pour survivre malgré les vociférations de Mahito. On découvre le principe de la chaîne alimentaire qui doit rester stable, et où Kiriko chasse pour nourrir les Warawara, qui nourrissent eux-mêmes les pélicans.


À travers le grand-oncle qui souhaite passer la succession à Mahito, nous pouvons voir un rapprochement direct avec Hayao Miyazaki lui-même, créateur et architecte de son monde artistique, de son univers à lui avec des pierres symbolisant ses œuvres filmiques. Cette approche laisse paraître une œuvre quasiment testamentaire, faisant une synthèse de sa création et évoquant un possible départ. Mahito pourrait représenter à la fois son véritable petit-fils à qui le film est adressé mais également ses fidèles spectateurs, en soumettant l'idée qu'il partira pour un autre monde et qu'il nous propose ce film-cadeau en tentant de nous faire accepter cet inéluctable incendie.



L'héritage


Mahito n'accepte pas la succession au travers de sa vie, il témoigne d'une maturité dans sa décision car le fait qu'il s'est cogné montre qu'il n'est pas équilibré pour poursuivre la stabilité du monde imaginaire. Effectivement, Mahito ne va pas reprendre le monde du grand-oncle, mais il va bâtir le sien. À travers son propre imaginaire, à travers de sa propre expérience, la nouvelle génération rebâtit un monde suivant ses nouveaux traumatismes. En quelques sortes, cela peut être rapproché aussi à un refus de l'héritage de la Seconde Guerre Mondiale, où la nouvelle génération japonaise se détache de ces tourments.


Ce discours d'acceptation montre la philosophie de Miyazaki, ce n'est pas aux anciens de dire ce que les jeunes doivent faire pour sauver un monde détruit par leur faute, il faut finalement que les nouvelles générations façonnent leur monde de demain avec leur libre-arbitre. Le monde ancien n'est pourtant pas complètement détruit et laisse des traces : perruches, pélicans et surtout les Warawara, sortes d'idées nourries et pouvant amener à toute forme de création. De fait, le renouveau se traduit par de nouveaux artistes dotés de leurs propres mondes, possiblement influencés par des idées mais originaux et personnels dans leur approche : il n'y aura pas de successeur artistique de Miyazaki. Et vous, comment vivrez-vous ? À votre manière...



Les amours maternelles


Enfin, c'est le thème totem de Hayao Miyazaki, l'aspect féminin et maternel, particulièrement ancré en lui suite au décès de sa mère Yoshiko. Tout d'abord, nous constatons la force nourricière, par exemple via Kiriko qui pêche puis découpe une créature aquatique afin de sustenter les Warawara.

Ensuite, l'aspect de la force protectrice, à la fois par Natsuko qui cherche à faire tout son possible pour que Mahito se sente bien, Kiriko qui prend sous son aile le garçon, les vieilles dames qui par leur sagesse prennent soin des personnes qui les entourent autant dans la réalité que sous forme de talismans, et enfin Himi qui disperse les pélicans par son brasier et aide (son fils) Mahito le long de son aventure.

Puis finalement l'un des plus beau don, la force créatrice, via Himi qui décide de retourner dans le passé dans le but de donner naissance à son fils qu'elle chérit.


Puis la fin témoigne de l'acceptation de sa nouvelle mère Natsuko accompagnée de son œuvre créatrice, un fils. Mahito n'est alors plus enfermé dans la souffrance de rester sur place et dans le doute d'avoir une autre mère. Une scène mémorable et très pertinente, se met en scène notamment à un moment où Mahito réveillé, intercepte un baiser caché mais perceptible entre son père et Natsuko. Mahito transforme donc ses doutes et ses angoisses via cette psychanalyse mystique, et peut alors partir avec sa famille, ensembles.




Ces lectures sont amenées à évoluer suivant des réfléxions supplémentaires, des apports du créateur et surtout un revisionnage qui résonne comme obligatoire afin de confirmer ses richesses et déceler de nouveaux détails. Il serait par exemple question que le Héron symbolise à priori le producteur à la recherche d'un successeur à Miyazaki.


Je suis convaincu que le temps va donner une résonnance large de cette œuvre, légèrement abandonnée car trop intellectuelle et philosophique.


Cubick
8

Créée

le 8 nov. 2023

Critique lue 60 fois

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Cubick

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