Dernier film de Miyazaki opérant une radicalisation par rapport à ses films majeurs. À l’inverse du réalisme et des tons intimistes du Le Vent se lève, on retrouvera dans Le Garçon et le héron un concentré de l’œuvre Miyazakienne : versions sympathiques des sylvains et des noiraudes, mauvais esprits, motifs de passages vers un monde caché sous les apparences du réel. Qui dit nouveau film, dit ouverture à un nouveau monde abondant. L’ondoiement de l’animation, cette fluidité graphique exquise propre aux films du maître ne saurait disparaître. Miyazaki est le régent de son monde. Le mouvement charmant des fluides, de la nature maîtresse, le battement d’ailes des oiseaux et l'embrasement des flammes, enchantent les sens. Les images sont superbes, le découpage précis et, à nouveau, le bestiaire ample habite un monde, qui s’étend et se ressert, avec une souveraineté absolue. L'art graphique s'impose : combinaisons de formes, cette “gomme” malléable à laquelle Miyazaki donne admirablement vie, en lui offrant corps dans ces espaces infinis. Le jeu de la matière se combine avec aisance, épure des gestes fluides, accalmie du vol du héron cendré, puis ondoiement des excroissances et de l’activité de la nature, le voile de la mer, le balaie des pélicans, et la danse des grenouilles, saturés du mouvement, ne sont rien d'autre que de la pure poésie. Mais si le film est une réussite sur le plan technique, Miyazaki ne saura donner pleine chair au grand tout. Michel Mourlet disait avec force “L’histoire est une donnée, la plus importante sans doute, mais à partir de laquelle tout reste à faire : la vérité, le mouvement, la vie.” Nous pensons, que la beauté d’un film ne peut s’épanouir pleinement, à de rares exceptions près, que si le scénario et la mise en scène fonctionnent en pleine synergie. Les fables de Miyazaki nous ont habitués à une certaine excellence dans la narration, des cheminements classiques qui permettent une facilité de compréhension de l’action et des péripéties. Souvent, c’est le fantastique et l’imaginaire qui prennent le pas sur le réel (Totoro, Ponyo), parfois c’est un monde fantastique qui est créée de toute pièce par Miyazaki (Laputa, Mononoke) et d’autres sont pleinement inscrit dans le monde réel. Mais un 4e cas de figure existe : le passage dérobé vers un monde stratifié, qui vit par lui-même en parallèle à celui que nous connaissons. Parmi ceux-là, nous comptons Le voyage de Chihiro, qui déploie une structure narrative somme toute compréhensible, puis le petit dernier : Le Garçon et le héron. C’est une radicalisation par rapport aux œuvres majeures du maître. Le film, quête initiatique en apparence, fonctionne finalement comme une psychanalyse de son réalisateur. Miyazaki nous fait entrer dans une antichambre : la sienne. C’est une mélopée surréaliste, dans laquelle est distillée des clés qui permettraient de comprendre le fonctionnement de cette tour, et donc du studio Ghibli. Le film opère en deux parties. La première cultive le silence, avec comme thématique le deuil de la perte d’un être cher. La tour tombée du ciel, au fonctionnement secret, reflète le traumatisme de la bombe nucléaire, qui brusque et métamorphose toute une génération de Japonais, Miyazaki inclus. À la manière d'Alice au pays des merveilles, vint le Héron, guide parmi les secrets intimes d’une famille. Il peut être vu comme le producteur des studios Ghibli, en quête du successeur de Miyazaki. Et c’est dans deux êtres diamétralement opposés - pantins auxquels il y insuffle son âme - que se cache Miyazaki. L’enfant du réel et le maître de la tour, qui tentent en chœur de faire tenir en équilibre ces modules en pierre funéraire, renvoyant à la cosmogonie des longs-métrages réalisés par le cinéaste. Le surréalisme du film surgissant à l’orée du deuxième acte, permet une introspection mémorielle qui semble illégitime, mais déployant une profusion visuelle inédite : on navigue tour à tour dans une toile de Böcklin, à travers la verticalité d’une tour babélienne et sur des océans homériques, qui nous rappellent ô combien il est important de rêver. Il semble capital de noter à quel point le maître s’auto-cite. Que ça soit dans un dessin discret de Laputa, au détour d'une citation directe “Le vent se lève”, ou à travers les 7 grand-mères qui pourraient renvoyer aux héroïnes des films précédents de Miyazaki, tous ces signes semblent être convoqués pour créer une capsule incarnant la mythologie Miyazakienne. En tombant sans doute dans la sur-analyse, la salle de l’accouchement, sorte de tombeau absolu à ne surtout pas profaner vient renforcer ce statut : on peut y voir ici l’épicentre de la création du cinéaste. Endroit sacré où les idées fusent, et où son art prend vie. La figure de la mère occupe une place toute particulière dans le métrage. On sait que le jeune Hayao était proche de sa mère, et qu’il garda un souvenir amer de son géniteur. Dans Le Garçon et le héron, le père de Mahito est représenté comme un homme bourru, dénué de subtilité et accaparé par son travail. À l’inverse, les figures féminines sont dépeintes comme des personnes douces, emphatiques et courageuses. Mahito va tenter d’accomplir son deuil en retrouvant sa mère de substitution perdue dans les limbes de la tour. Sa véritable mère elle, morte au début du film, se retrouve rajeunie comme figure salvatrice à plusieurs moment charniers du film. Comme dans beaucoup des films de Miyazaki, la jeune fille incarne l’avenir du monde, faisant preuve d’une noblesse d'esprit et d’un courage du cœur. Si l'œuvre possède un souffle puissant, une profondeur dans sa morale et une poésie pure à l’écran, il trouve des limites dans sa structure. Il ne faut pas se tromper : Miyazaki est un conteur, un faiseur de fable, et il n’a jamais été meilleur que quand il a narré une épopée épique ou un conte tendre et intime. Si le réel et le fantasmagorique se retrouvent et s’épousent à la fin, jamais la beauté ne sera équivalente aux déchaînements des flots de Ponyo sur la falaise ou au souffle épique de Princesse Mononoké. Dans un film de Miyazaki, si la colonne vertébrale (l’histoire) n’est pas aussi limpide que sa chaire (l’animation) c’est l'entièreté de la structure qui devient vacillante. La grandeur de l'épopée, foisonnante et métaphorique ne s’accomplit pas tant sa richesse ne parvient pas à trouver d’ordre et d'incarnation matériel.