Le Garçon et le Héron
6.9
Le Garçon et le Héron

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2023)

Le dernier Miyazaki est pour moi en demi-teinte. D'une beauté inégalée de par chaque plan qui est comme une oeuvre (d'art) dans une oeuvre, mais la narration ne suit malheureusement pas.

Je ne suis absolument pas hermétique à des oeuvres bizarres, étranges comme Alice au pays des merveilles, car il est clairement question de cela dans ce film, un jeune garçon qui bascule dans un monde étrange ou s'enchainent de multiples rencontres avec des personnages, des créatures qui n'ont pas une ligne narrative forte ou une cohérence marquée, des règles bien définies et qui surtout sont sujettes à multiples échos, interprétations, que le cinéphile plus ou moins averti sur l'oeuvre et la vie de l'auteur pourra ou non décrypter ou du moins y trouver une résonance symbolique assez forte pour l'emporter sur tout le reste.

Personnellement, la résonance symbolique n'a pas frappé assez fort. On parle de deuil, d'acceptation, de transmission, on comprend ce que traverse Mahito et ce vers quoi cette quête doit le mener. Mais tout est assez fouillis ou pas assez appuyé. La relation entre Mahito et sa tante (qui est aussi sa belle-mère) n'est pas claire, elle n'est pas assez développée et je ne comprends pas trop comment les épreuves précédentes lui permettent d'évoluer psychiquement. Toutes relations entre les personnages sont d'ailleurs toute survolées (Mahito-tante, Mahito-mère, Mahito-père, Mahito-héron) et c'est assez dommageable.

La froideur du personnage principal ne me dérange pas, il a un petit côté soldat qui n'est pas inintéressant, il dit ce qu'il pense, ne se laisse pas embêter, il est calme, poli, respectueux, réservé, courageux, et même s'il est en désaccord avec sa belle-mère ou du moins a du mal à l'accepter, il n'hésitera pas à venir à son secours (d'ailleurs, pourquoi la belle-mère va dans la tour pour accoucher ?? Est-ce une manoeuvre du héron ou des perruches pour attirer Mahito ? Mystère). Il est aussi très introverti et sujet à un grand désarroi et son mutisme peut retranscrire ce trouble mais il manque un petit quelque chose pour nous le rendre transparent, attachant, dans le monde des rêves, il est un peu mis de côté.

Le monde des rêves n'est pas très bien construit et le spectateur classique n'aura pas les clés de décryptage. Je n'ai pas compris cette volonté de tout axer sur les oiseaux par exemples, pélicans, perruches, héron, symbolisme japonais ?

D'ailleurs je vais essayer de déchiffrer quelques éléments clés cet univers.

Commençons par cette tour mystérieuse tombée du ciel qui fascinera le grand-oncle de Mahito et sa mère par la suite. On voit que les admirateur d'arts sont fascinés par cet endroit et qu'ils peuvent s'y perdre. Le grand-oncle deviendra le maître architecte et la mère s'absentera pendant une année entière. Kiriko (la vieille dame) aussi s'est emparé de cet univers, elle y vit, travaille, nourris les âmes et donc remplis une fonction. Mahito lui n'a aucune attache, il ne s'empare de rien, ne s'approprie rien, il a une mission, sauver la femme de son père, qu'il finira par considérer comme sa mère ou du moins qu'il acceptera comme remplacement de sa mère disparue. Mahito n'a pas l'air d'être rêveur ou fasciné par ce monde (c'est un personnage assez distant surtout dans le monde imaginaire) plus que cela et c'est pour cela qu'il quitte ce monde à la fin et qu'il n'accepte pas de reprendre le flambeau de l'architecte.

Mais cette tour c'est quoi au juste ? L'oeuvre de Miyazaki, son univers peut être, riche, imaginatif, dangereux aussi. La tour serait donc ce qu'il a bâti au fil des décennies, quelque chose de beau, de foisonnant mais de fragile dont personne à la fin ne va reprendre le flambeau, vision assez pessimiste mais en même as-t-il besoin d'un successeur tant qu'ils y aura d'autres artistes, d'autres visions ?

Mais par delà ce monde, Mahito devra aussi faire le deuil de sa mère. Un deuil qui s'enracine aussi dans l'histoire douloureuse du Japon pendant la guerre. La mère de Mahito, c'est le feu, le feu incendiaire qui l'a condamnée, le feu des bombes, mais aussi le feu énergique, créatif, plus tard dans le métrage lorsqu'on verra la version jeune et sorcière du personnage. Le personnage de la mère est ambigu et je ne pense pas avoir tout saisi. Tantôt elle incarne le mystère et la puissance (comme Haru dans le château ambulant), parfois c'est la bonne copine d'aventure très positive et motivée (Kiki) et ensuite c'est la princesse endormie à sauver. Elle est donc la somme de beaucoup de profils féminins et aussi la figure, le fantôme qui hante le film.

Mahito et elle vont vivre des aventures, vont sauver Natsuko (et encore ce n'est pas hyper clair) et puis vont embrasser leur vies d'hommes et de femme, Himi acceptant son funeste destin car donner la vie à Mahito suffit à son bonheur. C'est joli, mais j'en aurais voulu plus car tout cela est un peu décousu, on ne sent pas le lien profond qui unit les personnages au delà du fait qu'ils soient mère-fils, il manque des scènes entre eux (et c'est comme ça avec beaucoup de personnages qui gravitent autour de Mahito).

Parlons des perruches maintenant, gloutonnes de chair humaine, elles seraient en fait (ce n'est pas mon analyse perso mais je m'y range) l'incarnation des dérives commerciales ou les exigeances commerciales, qui mettent en péril l'univers de Miyazaki. Assez logique quand on voit comme elle sont montrées : décérébrées, affamées, elles représentent aussi l'abondance, la charge de travail, la pression qui peut peser même sur ce grand homme et ses collègues. Le roi des perruches qui remet en cause la vision de l'architecte figure bien de cette métaphore en condamnant le monde imaginaire.

Le Héron maintenant, ce personnage énigmatique, métamorphe, presqu'écoeurant, qui va à la fois guider le héro tout en le provoquant, en l'humiliant et le trompant et qui se range finalement de son côté. Serait-ce la partie sombre que l'on a au fond de nous-même, nos peurs, nos doutes, nos angoisses, nos faiblesses qui peuvent s'avérer être une force ou alors un guide qui va apprendre la vie à Mahito ? Le petit bonhomme repoussant à l'intérieur de ce noble animal censé être le symbole de la sagesse le laisse à penser mais qui sait, il y a sans doute d'autres explications comme par exemple qu'il serait le producteur, celui met des bâtons dans les roues mais qui en même temps il faut écouter, convaincre...Bon là on est un peu trop de l'autre côté du miroir pour que les spectateurs soient sensibles à cette interprétation et c'est peut être ça aussi le soucis du film, trop autobiographique, personnel pour toucher tout le monde.

Le garçon et le héron (dont le titre japonais est plus parlant "Et vous, comment vivrez-vous ?) est donc d'une richesse symbolique, visuelle, graphique impressionnante, je pense à cette scène d'introduction quand Mahito cours dans la ville en flamme, ou même à chaque tableau proposé par Miyazaki fourmillant d'idées, de générosité et de maîtrise. L'évocation de cette période de guerre, du traumatisme qui en découle est d'une profonde justesse sans aller dans le pathos.. Maîtrisé dans la forme mais moins dans le fonds. L'enchainement des tableaux est décousu, les personnages sont survolés ou peu explicites quant aux rôles qu'ils jouent dans l'intrigue et l'avancé de Mahito. On reste un peu sur notre faim à la fin, sans mauvais jeu de mots.

Mais c'est aussi une oeuvre référentielle qui ravira les fans qui y verront l'évocations d'autres oeuvres du maîtres, Mononoke, Chihiro, le château ambulant, dans le ciel, le vent se lève, parfois au plan près ou à l'intonation près. C'est une oeuvre bac à sable, ou chacun peut y aller de sa petite interprétation ou analyse et c'est enfin une oeuvre testamentaire à la fois mélancolique mais lumineuse. Il faut donc voir ce film certes imparfait comme un cadeau que nous fait Miyazaki, un message qu'il lance à la mer à celui ou celle qui voudra bien le saisir et le déchiffrer. C'est aussi un film d'une grande maitrise, tant visuelle que sonore (j'ai beaucoup aimé cette BO plus discrète mais qui accompagne parfaitement l'action) à qui l'on pardonnera son faible fil narratif qui semble juste effleuré et à la conclusion vite expédiée.

En fait ce que je reproche au garçon et le héron, c'est que les thématiques sont explicites mais peu développées ou exploitées, on a toutes les clés de l'univers (ou on pense les avoir) mais on ne nous rend pas l'univers attachant ni même cohérent. Dans Alice, rien n'est expliqué, tout est bizarre du coup le lecteur peut partir dans cet imaginaire et se l'approprier, ici, on sent clairement qu'on est dans la tête de Miyazaki, qu'on traverse tous ses questionnements, sa vie, son rapport à la mort, à son oeuvre, à son lègue mais on a constamment le sentiment, du moins dans la deuxième moitié, d'être extérieur au récit, de ne pas être impliqué, touché par ce qu'il se passe. Certains le seront sans doute, notamment ceux qui ont vécu des expériences similaires mais je suis convaincu qu'une grande majorité du public sera largué et que seuls les critiques et autres analystes se régaleront des thématiques et références du film.

Mais bon, au final, on en aurait voulu plus alors que le film dure déjà 2 heures et c'est ça qui compte non ?

uther
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le 14 déc. 2023

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