En deux lignes :


Un ronin arrive par hasard dans un village déchiré par une lutte entre deux bandes rivales de yakuzas et décide d’y mettre un terme.


En un peu plus :


Si l’on excepte Hayao Miyazaki, Akira Kurosawa reste probablement le réalisateur japonais le mieux connu du grand public occidental. Sans avoir nécessairement vu ses films, celui-ci sent encore que son nom désigne l’un des tout grands réalisateurs, comme, mettons, Scorsese, Nolan ou Spielberg.


Il est vrai toutefois que nous avons la mémoire collective courte et qu’une poignée de décennies suffit pour que le génie soit relégué au musée. C’est souvent pour le public le seul intérêt de remakes comme Tsubaki Sanjuro (2007) ou Ichimei (2010) : une invitation à aller découvrir l’œuvre originale, dont l’audace et la force ne peuvent que nous rendre admiratifs, pour peu qu’on ne se laisse pas aller à confondre progrès technique et talent.


Lorsqu’en 1961 Kurosawa tourne Yojimbo, sa réputation n’est plus à faire. Celui qui tournait vingt ans auparavant des films de propagande a depuis « fait le vœu de ne plus jamais s’incliner devant l’autorité ». Il ne se plie désormais plus qu’à ce qui sert la vision du film et déploie à l’égard de tous ses collaborateurs l’exigence démentielle qu’il a envers lui-même. « Prenez ma vie, dit-il au moment d’en faire le bilan, retranchez-en mes films, et il ne vous restera rien. »


Aussi tout détail, si insignifiant soit-il, mérite-t-il la plus grande attention, car il contribue, même sans être perceptible à la caméra, au grand-œuvre que chaque film doit être. « Celui qui n’est jamais satisfait de son travail, celui-là est un vrai créateur. » De là des exigences bien précises et une absence de concession qui valent au réalisateur le surnom de tenno : l’empereur. Tatsuya Nakadai, qui incarne dans Yojimbo le principal antagoniste, en a fait à ses débuts la douloureuse expérience. Avec Kurosawa, se rappelle-t-il « si la prise était bonne du premier coup, elle était bonne. Mais si ce n’était pas le cas, vous pouviez en faire cinquante. » Nakadai n’avait-il pas dû, lorsqu’il n’était encore que figurant, traverser encore et encore la même ruelle pendant près de six heures, jusqu’à ce qu’enfin le maître jugeât sa démarche et son port adéquats, le tout mobilisant 200 personnes pour un plan de cinq secondes sur un film de plus de trois heures ?


De manière surprenante, l’autoritaire Kurosawa sait pourtant laisser la bride sur le cou de certains de ses fidèles collaborateurs, quitte à renoncer parfois à ce qu’il a prévu, si le film en sort grandi. Pour l’extraordinaire bande-son de Yojimbo, sa consigne au compositeur Masaru Sato est : « Faites ce que vous voulez, du moment que ça ne ressemble pas à de la musique de chambara. Vous avez une semaine. »


L’immense Toshiro Mifune, avec qui il tourne ici pour la treizième fois, bénéficie aussi de cette confiance. De fait, l’une des proches collaboratrices de Kurosawa, Teruyo Nogami, relève que Mifune ne recevait pas de consignes spécifiques. Le sens du timing de l’acteur, sa vivacité, sa persévérance et sa sensibilité, ainsi que les efforts colossaux déployés pour entrer dans son personnage avant même de mettre les pieds sur le plateau pour la première fois, tout cela suffisait à garantir ce que recherchait le réalisateur : que chaque scène tende vers la perfection.


Ce mélange entre obsession du détail, direction maniaque et confiance s’avère d’ailleurs payant, et pas uniquement pour le public. Il est significatif qu’au fil de sa carrière, Kurosawa a progressivement été entouré d’un cercle de techniciens et d’acteurs, dont certains ont travaillé plus de cinquante ans à ses côtés.


Avec Yojimbo, Kurosawa entend tourner un pur divertissement que chacun puisse apprécier. Le film se construit ainsi comme un délicat équilibre entre humour, action et suspense. Il met toutefois en scène une violence présentée sans concession ni romantisme, comme d’ailleurs tous ses films de sabre. Loin de se limiter au tintement des lames et à la chute des corps, celle-ci revêt de nombreuses formes et écrase avant tout les femmes, les enfants, les vieillards... avec la bénédiction d’autres femmes, d’autres enfants, et d’autres vieillards. Et si le protagoniste semble quelque temps planer avec astuce au-dessus de la mêlée, il doit finalement s’y abandonner pour sauver un village qui ne sera vraiment purgé du mal qu’avec son départ.


Sans doute est-ce là, plus que la soif d’aventures, la raison pour laquelle le pistolero quitte toujours les lieux où il rétablit l’ordre.


Et en quelques images :
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le 22 mars 2022

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