Un texte d'introduction nous annonce que ce film qu'on croyait perdu a été retrouvé il y a peu ( en Russie ) mais auquel il manque toujours le début et la fin qui ne sont décrits que par cartons. La vision de ce chef d'œuvre ne peut que faire regretter ce film incomplet. Les images sont d'une telle imagination qu'on ose à peine imaginer la beauté glaçantes des derniers instants ainsi que l'interprétation de Keiko Takatsu qui semble porter dans ses yeux toutes la détresse et l'injustice du monde.
Son histoire est à ce point misérable qu'elle aurait pu tirer des larmes à Oliver Twist et Cosette. Vendue comme de la marchandise, abandonnée, méprisée, délaissé, manipulée, la description (non exhaustive) de son destin fait un peu too much, mais le talent du réalisateur est de ne pas lier ses scènes entre elles, des cartons nous disent juste "3 ans plus tard, nous retrouvons Sumiko chez...", Le réalisateur montre ainsi comment Sumiko tente de tourner la page, d'oublier son passé, de continuer d'avancer, de trouver une raison de vivre (voir mourir). Mais l'illusion est de courte durée, le cadre devient vite menaçant par une maitrise proprement ahurissante de l'espace et du cadre. Il a un art certain pour placer sa camera à l'endroit où les décors, costumes et figurants décrivent un tableau presque surréaliste tentant d'écraser son héroïne. Suzuki multiplie les plans décentré, les cadres dans le cadre, recadrage, jeu entre le 1er/2ème plan. Son cadre n'hésite jamais à couper des personnages, mettant leur visage hors-champ ce qui rend leur présence d'autant plus menaçant (Kafka n'est pas loin)
Cette virtuosité du cadre ne se dément jamais sur la durée du film tout en parvenant à rester accroché à Sumiko, lui offrant des gros plans admiratifs et amoureux.
Les quelques travelling quand à eux traduisent avant tout l'avancée du temps et donc l'enferment de Sumiko dans un univers qui la prive de liberté, comme ce magnifique travelling arrière qui "traverse" naïvement une vitre pour la filmer recluse dans le coin d'une pièce pendant que la pluie tombe au dehors, instant figée et intemporel autant qu'un avance rapide de son existence.
Alors quand arrive les ultimes cartons qui ne peuvent que nous "décrire" le dénouement (nihiliste au possible) sans la montrer, on se dit que le cinéma (muet et cinéma tout court) nous livre une immense poème visuelle blessée jusque dans sa chair comme son personnage...