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[Confinement à Rouans, village de campagne du film Le grand chemin, où l'on aperçoit même ma maison, qui fait de la figuration ; et la place centrale, qui a bien changé ; et l'église très haute, trop haute comme toutes les autres, si haute qu'il vaut mieux pas la grimper. L'histoire d'un enfant qu'il faut cacher, d'une grande sœur seins nus par la fenêtre, et d'un amour d'adultes, in extremis. Je recommande]


MARDI 17 MARS


Sur le départ de Nantes (1), inquiétude franche. Le confinement officiel, à partir de midi, ne vient que confirmer les précautions à prendre. Je suis pas du matin. Ma copine, dès 8h, regardait le plafond, s'organisait, se projetait, se demandait si elle allait y arriver. Partir avant midi, ce serait bien. Prendre ça, et ça, et ça... Peur de tomber dans les bouchons. Que tout le monde partent à la campagne. Elle angoisse. Je peux pas dire. Elle fait tout, je fais rien. Je regarde, je la calme. Elle pleure un coup. Reprend, moins fébrile. Tranquille.


On claque le coffre, les portes, on prend la route. Mon inquiétude franche est fausse, cinématographique (la petite, la vraie, qui fait peur, reste au fond). Je cherche dans la rue des trucs de films. Des confirmations. Un peu pervers, j'attends des signes d'apocalypse. Ah ! Des gens en panne, au bord de la départementale. Berline noire bien garée sur la bande d'une bretelle d'engagement, petits triangles de détresse, au sol comme de rigueur, derrière et devant. Pas très intéressant. Sous le pont de Chaviré, les longs docks du port industriel sont vides, un peu comme d'habitude : tas de sables et de cailloux, et petits tracteurs qui creusent dedans ou tournent autour. Un grand bateau à quai, avec des grues dessus, immobiles. Personne à bord. Ça change pas de quand on passe chaque fois, généralement à l'aller le samedi, et au retour le dimanche. Un peu plus loin, des gens vivent sur un terrain vague en béton. Je distingue deux petites filles qui marchent d'une caravane à une autre, leurs doudous qui traînent au sol derrière elles. L'épidémie leur passera complètement au-dessus, ou les frappera sans prévenir.
L'inquiétude cinématographique un peu déçue, c'est la perspective du soulagement qui s'impose. On a pris toutes nos précautions. Ça fait 8 jours depuis l'histoire du postillon de machin, une semaine depuis le baiser de bidule. Et puis on se touche plus, depuis 5 jours. Elle met des gants en plastique. On fait ce qu'il faut. Je m'apaise.
Perspective d'un simple confinement, en bonne santé. Au grand air. Je me sens le cœur gros de l'extase du convalescent qui va bien. Et aussitôt l'idée du virus qui revient. C'est cyclique. Soudain, l'impatience des marais. Le désir d'épancher ma mélancolie, comme on dit.
Les voilà. Deux grands miroirs troubles de chaque côté de la route, qui les traverse, pour rejoindre le bourg, de l'autre côté ; et, partout, des trucs qui dépassent, et on imagine que ça grouille. Les rites du printemps vont bientôt commencer : deux oiseaux s'embrassent déjà, sur une branche. On imagine aussi la petite existence, soustraite à la vitesse de la voiture : les crapauds qui se chevauchent ; les papillons qui s’emmêlent ; les libellules qui se poursuivent. On devine, les poissons, se tordre, autour des bulles. La mousse et la moisissure. La vie. La mort. En équilibre. Bouillon de cultures. Promiscuité humide.


Les marais du pays de Ré sont gérés en partie par les écluses : point de rétention de l'eau en cas de grosses précipitation, à mi-chemin entre l'estuaire de la Loire et le lac de Grand-Lieu. On fait monter les marais quand on craint que le reste déborde. C'est une zone de pâturage, le reste du temps, et de promenade : des prairies traversées par des canaux, avec des bancs sur le bord des chemins. En cette fin d’hiver, on s'amuse à les repérer, qui dépassent de l’eau à peine, ainsi que les tables de pique-nique. C’est beau, de s'imaginer s’asseoir sur le bord de la route, pour regarder, le matin, dans la brume diffuse et gelée qui a du mal à se lever, tout se petit monde s'en foutre et se frotti-frotter, pendant que nous on compense. Le journal Oh My Mag m'informait ce matin : La vente de sextoys a explosé ces derniers jours. Selon la marque Womanizer, les chiffres de vente dans le monde entier sont impressionnants par rapport aux prévisions annoncées en début d'année : + 135 % au Canada, + 60% en Italie, + 40% en France ou encore +75% aux États-Unis. Pareil, du côté du porno, on se frotte surtout les mains : "La manière la plus simple pour éviter que le virus ne se répande est d’éviter le contact direct avec d’autres personnes, et c’est là que le porno peut aider", se félicitait alors Alex Hawkins, vice-président de Xhamster. D'autres, en réalité, s'en foutent complètement : Sur Tinder, les matchs et les rencontres entre inconnus se multiplient et décuplent. À l'AFP, une jeune fille témoignait ainsi : "J'ai l'impression que ça booste, tout le monde se connecte, se décoince". En remontant la rue principale de Rouans jusqu'au rond-point devant l'église, j'aperçois au loin le beau théâtre tout neuf de la commune, où, il y a de ça une grosse semaine, on était allé voir une pièce sur Tchernobil. C'était une mise en scène un peu horrifique avec des marionnettes, de témoignages de gens restés vivre sur les zones radioactives ; une pièce nommée L'herbe de l'oubli, référence à l'absinthe (Tchernobil en russe) ; entrecoupées d'extraits de La Supplication (Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse) de Svetlana Alexievitch. Il y avait notamment, sur le livret, cette citation de l'écrivaine, qui disait au sujet de la catastrophe nucléaire : "il s'est produit un événement pour lequel nous n'avons ni système, ni représentation, ni analogie, ni expérience. Un événement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles, ni même notre vocabulaire." On savait déjà, pour le virus. Et pourtant on était là, dans une salle de spectacle, bondée. Le type de la programmation, en présentant la pièce, avait fait une blague sur ses postillons. C'est seulement plus tard que j'ai compris, qu'on pouvait rester porteur sain ; 14 jours d'incubation éventuellement, et 21 jours de contagion possible apres guérison ; et entre les deux, ça peut même ne pas se déclarer ; et on n'est même pas sûr, de toutes ces infos... beaucoup d'infos : comment se protéger de l'épidémie de fake news, j'ai lu dans mes notifs hier ... bref, j'ai commencé à m'inquiéter quand j'ai compris un peu, dans quelle mesure on pouvait le porter sans le ressentir. Un événement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles. On en est peut-être pas au point de Tchernobil, en matière d'étrangeté ; on a les représentations, les analogies, le vocabulaire ; Virus, Épidemie, Pandémie ; mais tout de même ; ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles ; ça rend bien cette inquiétude pas franche qui, au mieux, va demander une certaine endurance.


(1) (Départ du CROUS nécessité par mon handicap, je précise pour la transparence)

Vernon79
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le 19 mars 2020

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Vernon79

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