Rien de mieux, en apparence, que de brouiller les pistes lorsqu’on s’attelle à un film d’espionnage. Tel semble être le parti pris de Nicolas Parisier dont le premier long métrage a été salué par la critique cinéphile.


Il faut lui reconnaitre une belle ambition : celle de traiter une intrigue tout en la désactivant, de privilégier les portraits sur les situations, les dialogues sur l’action, et d’opérer une ample réflexion sur son époque. Le véritable sujet, celui de l’engagement révolutionnaire et de ce qu’il représente aujourd’hui, est traité avec habileté. En donnant à Melvil Poupaud le rôle d’un écrivain n’ayant pas su dépasser le succès du premier roman, gauchiste vaguement repenti, le récit interroge ce que fut son époque, à savoir presque rien. Du passé resurgissent des émotions, des élans avortés auxquels ont succédé des retours dans le rang, pour un personnage cynique et ne faisant plus rien de sa vie.


Sur un canevas qui évoque très fortement l’affaire Julien Coupat, le scénario mêle plusieurs niveaux : celui de la manipulation de l’opinion, d’abord, un des passages les plus intéressants, où le personnage de Dussollier explique comment l’écriture commandée d’ouvrages, ou l’instillation de formules toutes faites dans la presse créent habilement l’opinion publique, fabriquée de toutes pièces. Celui du trajet d’un homme, qui masque ses échecs dans un cynisme étudié, et qui est souvent démasqué par ses interlocuteurs : avec lui, c’est toute une époque qui tombe, et cette façon de décaper la pose est l’autre réussite du film.


Le problème réside dans l’écriture générale, bien trop discursive ; problème souvent consubstantiel au cinéma français, les thèses, certes intéressantes, sont dispensées au fil de dialogues empesés et souvent à rallonge, au point qu’on en vient à douter de la bonne foi de certains personnages. Le fait que le protagoniste soit écrivain n’est pas innocent, et trahit cette ambition qui nuit beaucoup à la fluidité des échanges. Si l’on peut être séduit par les directions plus ou moins inattendues du récit, les bifurcations prennent aussi le ton de tentatives qui ne sont pas toutes maîtrisées. Sont distribuées pèle-mêle réflexion sur le pouvoir, la paranoïa, la trahison, la fuite du temps sur les idéaux de la jeunesse, une histoire d’amour… Tout cela fait beaucoup, d’autant que ces enjeux s’articulent autour d’une intrigue finalement assez peu crédible, la destinée du personnage de Dussollier étant assez grossière, voire improbable.


Les intentions louables ne font pas tout. Seule Clémence Poésy s’en sort avec les dialogues littéraires, tandis que l’ex-femme et l’étudiante y trébuchent avec fracas, écueil supplémentaire à cet ensemble intéressant sur bien des points, mais fragiles sur tant d’autres.


(5.5/10)

Sergent_Pepper
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le 20 févr. 2016

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Sergent_Pepper

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