Voici un film qu'il m'est bien difficile de noter, tant le véritable sujet de fond est on ne peut plus sensible. Présenté comme un biopic sur le parcours du Colonel Paul Tibbets (le commandant du bombardier qui largua la 1ère bombe atomique de l'histoire) et les mois précédents le bombardement d'Hiroshima, le film fut tourné avec l'assentiment et les informations fournies par le gouvernement Américain.
Mais ne vous attendez pas à y trouver les détails techniques pour concevoir vous-même une bombe dans votre cabane « au fond du jardin ». Car au total vous n'apprendrez pas grand chose sur le plan technique, politique ou stratégique sur les événements qui ont précédés l'attaque du 6 aout 1945.
Fait rare, le titre choisi pour la version française est plus proche du contenu "Le grand secret". Et effectivement le thème principal de ce film est le "secret" : sa pratique, sa gestion, son poids et ses conséquences (toute mesure gardée évidemment). Le secret autour des activités du Colonel Tibbets et de sa base navale perdue au fin fond de l'Utah va représenter l'unique et véritable ressort dramatique du film.
Les 2 réalisateurs, qui sont aussi les auteurs du scénario, n'ont pas du avoir beaucoup d'informations de la part des services de la défense américaine. Maigrement fourni, le scénario à pris volontairement le parti d'humaniser, à tout prix, les protagonistes de ce mélodrame.
Et comment humaniser la déshumanisation ? En parlant d'amour évidemment !
Le film va donc se concentrer sur le couple Tibbets et leurs petites têtes blondes. La vie conjugale est une gageure en soi. Les scénaristes du "Grand Secret" lui rendent un hommage bien mérité. Qu'est-ce donc que ces histoires de guerres mondiales, de bombes atomiques et de conflits quasi planétaires, à côté du défi d'un couple mis à mal par les soubresauts que l'Histoire (avec sa grande H) vient mettre entre cette femme et cet homme qui s'aiment ?
D'ailleurs Robert Taylor et Eleanor Parker sont relativement bons au regard du scénario qui leur est donné à jouer. La vie de caserne, les difficultés des épouses tenues à l'écart, les rares instants volés au "devoir patriotique" composent l'essentiel du récit. Quelques scènes prosaïques et autres disputes au sein du couple donnent un peu de relief au scénario qui patine dès qu'il s'agit de mettre en scène le "travail" de Tibbets. Ne pouvant rien dire (parce que c'est secret, on l'aura compris !) du quotidien et des occupations professionnelles de Robert Taylor, le spectateur est convié à s'ennuyer devant des montages vidéo montrant à quel point les "tests" et les "réglages" de ce petit "joujou" ont été "difficiles" et "héroïques".
L'amour est "Above et Beyond" tout (titre originel). Les producteurs n’ont laissé aucune place à ces "abscons" asiatiques qui s'agitent là-bas quelques part dans le Pacifique. L'amour, le couple, la famille, les enfants c'est bien au-dessus de ces milliers de Japonais effacés de la carte parce qu'ils ont eu la malchance d'habiter Hiroshima la douce à la météo trop clémente. L'important c'est que Robert Taylor et Eleanor Parker incarnent coûte que coûte le modèle indestructible de la famille occidentale prête à tous les sacrifices pour que survivent après eux une certaine idée de l'amour, de la famille, de l’occident… du monde, quoi !
Film d’amour, contrarié par la vocation militaire du mari sur fond de guerre mondiale, "Above et Beyond", est, sans l’assumer totalement, un film de propagande sous des airs de mélo grand-public. Expurgé des questions habituellement liés aux films de guerre, les auteurs produisent là un film d’une facture consensuelle (techniquement aussi).
Les Etats-Unis de 1952 n’étaient probablement pas encore prêtes à répondre des aspects philosophiques et humains de ce geste. Le film refuse donc, naturellement, de traiter du basculement de idée du combattant chevaleresque qui brandit devant lui un code d’honneur militaire vers une nouvelle forme totalitaire justifiant des frappes aveugles. A deux reprises dans le film sera posée, plus ou moins avec ces mots, la question suivante : « Si, aujourd’hui, en pressant sur un bouton et en tuant plusieurs milliers de personnes (dont des civils) vous pouviez épargner demain plusieurs millions de vies dans chaque camps, le feriez vous ? »
Demain n’étant pour moi qu’une idée théorique avançant au pas de l’incertitude et le moment présent le seul point d’ancrage estimable pour appuyer mes choix, j’aurais probablement répondu : Non. Mais la question ne m’a jamais été posée… pour l’instant. La vie n’est que cela : des instants. J’aime à penser qu’il n’y a pas, de par le monde, trop de Tibbets, prompts à penser les « lendemains» comme des récompenses dignes de n’importe quel prix… ou presque.